– 2ème partie –

Comment donner le sens de la grammaire aux élèves


  • La conscience de l’organisation grammaticale permettra à l’élève de dépasser la linéarité et la segmentation de l’écrit

L’écrit, bien plus que l’oral, met en évidence le caractère segmenté du langage. « L’évidence segmentale » se développe donc à mesure que l’élève découvre l’écrit dans ses différentes composantes : les lettres et groupes de lettres représentant qui composent les mots ; les mots qui composent les phrases. La représentation écrite de la langue permet ainsi à un enfant de découvrir les composantes du langage. C’est l’écrit qui atteste de l’existence des articulations du langage, qui leur donne corps et les rend disponibles pour l’observation et la manipulation. C’est en apprenant à lire et à écrire qu’un élève prend conscience de la successivité des mots et c’est à ce moment-là qu’il doit découvrir leur organisation grammaticale.

Nul ne conteste aujourd’hui que l’apprentissage de la lecture doit absolument s’appuyer sur une claire conscience phonologique et une sérieuse habileté dans l’identification des mots. Cependant, la révélation de la segmentation des énoncés et de la successivité des unités qui les composent peut produire, si l’on n’y prend garde, un effet pervers. C’est ce que l’on pourrait appeler le risque de l’éblouissement segmental. Un éblouissement qui, s’il n’est pas « réfléchi » et tempéré par la conscience de l’organisation grammaticale, peut parfois faire de l’acte de lire un égrainement de mots qu’il d’identifiera séparément les uns des autres. Alors que, bien sûr, l’acte de lire comme l’acte d’écrire supposent au contraire une volonté maîtrisée de se dépasser la successivité des mots pour construire une expérience globale cohérente et homogène, correspondant au désir du locuteur ou de l’écrivain. On pourrait ainsi dire que lire c’est garder un œil sur chaque mot en même temps que l’on se projette dans la construction grammaticale du sens ; écrire c’est garder l’intelligence tournée vers la construction globale alors qu’on aligne successivement les mots . Prendre conscience dès la maternelle de l’organisation des mots et des règles qui en font des groupes fonctionnels est une absolue nécessité si l’on veut que l’élève une fois engagé au CP dans l’identification systématique des mots procède à la construction cohérente du sens des phrases, puis des textes. Sans conscience grammaticale, le lecteur risque de ne fabriquer aucune image cohérente (chaque mot comptant pour lui seul) ou de procéder à une mise en scène toute puissante qui trahit celle que préconise grammaticalement l’auteur.


  • Faire découvrir aux jeunes élèves l’organisation grammaticale

– Montrer que la grammaire est utile

Un élève qui se verrait proposer uniquement des phrases banales, évidentes, reflétant ce que son quotidien propose à ses yeux blasés est en droit de se demander pourquoi, lorsqu’on produit cette phrase en français, on devrait s’embarrasser d’indicateurs grammaticaux pour distribuer des rôles que les mots semblent tout à fait capables de se partager sans aide syntaxique. En bref, « pourquoi indiquer formellement les fonctions de chaque mot alors même que le rôle de chacun est souvent infiniment prévisible ? »

La réponse que l’on doit faire à cette question est la suivante : « La langue est faite non pour proposer un reflet fidèle du monde vu, entendu, senti, touché.., elle est au contraire vouée à penser le monde, à l’inventer et à faire passer cette représentation singulière, incongrue, incroyable parfois, dans l’intelligence d’un autre ». Un élève équerrera d’autant mieux la conscience grammaticale qu’il sera confronté à des énoncés où les rôles que la grammaire impose aux mots sont inattendus, étranges, bizarres. Ce sont en effet des énoncés comme « le lapin a tué le chasseur » qui révèlent le pouvoir grammatical. Un élève doit très tôt comprendre que les directives grammaticales ne sont ni une dépense inutile ni une contrainte abusive ; elles assurent la liberté de création, d’invention et d’imagination, et donc permettent de dire ou d’écrire : « Le bébé donne le biberon à papa » avec les meilleures chances d’être compris au plus juste de ses intentions.

– Provoquer le questionnement grammatical

Lorsqu’une phrase est véritablement inattendue, elle amènera un élève à questionner son organisation. Il prendra avec le texteune distance qui va le conduire d’une part à identifier, en l’isolant, le mot ou le groupe de mots concerné, d’autre part à s’interroger sur le contenu d’une fonction bizarrement attribuée à ce mot qu’on ne s’attend pas à trouver dans ce rôle. Il observera la puissance conventionnelle de l’indicateur syntaxique qui a la capacité d’imposer un choix, certes inattendu, mais que la mise en sens de l’auditeur ne peut en aucun cas remettre en cause.

On peut, par exemple, bâtir un ensemble de supports d’activités pédagogiques qui accompagne les enfants tout au long de l’année. Chaque support ne vise à « révéler » qu’une seule et unique relation grammaticale à la fois : QUI fait QUOI ? A QUI ? OU ? QUAND ? COMMENT? AVEC QUOI ?…

Observons un exemple choisi dans la série « OÙ ? ».

 

¿

Les petits poissons nagent

 

dans la cour

 

 

¡

Les enfants courent

 

au fond de la rivière

 

La lecture de la première phrase entraîne chez tous les enfants rires et questions : « Dans la cour ? Mais non, ça peut pas être dans la cour ! Les poissons, ça nage pas dans la cour ! ça nage dans la rivière ou dans la mer ou même dans un bocal !». Le caractère incongru du groupe CC de lieu a entraîné sa reconnaissance en temps que morceau de la phrase disant où cela se passe. Il ne s’agit pas de nommer grammaticalement mais de repérer ce groupe comme définissant le cadre spatial de l’évènement.

La lecture de la deuxième phrase déclenche les mêmes réactions, les mêmes interrogations.

Sont ensuite proposées les deux autres phrases suivantes :

 

¬

Les petits poissons nagent

 

dans la cour inondée

 

 

_

Les enfants courent

 

au fond de la rivière asséchée

 

Ces phrases,une fois modifiées, vont montrer aux élèves qu’il suffit d’un mot (ici les participes passés « inondée » et « asséchée ») pour que l’on bascule de l’absurde dans le plausible et inversement.


  • Les dessins et les mimes pour comprendre l’organisation des phrases

Le dessin constitue un excellent moyen de montrer comment les choix grammaticaux ont un impact sur la représentation. La seule chose importante, c’est que vous fassiez prendre conscience aux élèves que lorsque l’organisation d’une phrase change, le monde change et que lorsqu’on veut changer le monde il suffit de changer l’organisation de la phrase . Ainsi, lorsque sur une image un chien devient jaune, ils voit le mot « jaune » s’ajouter au mot « chien » ; lorsque cette même image présente ce chien jaune dévorant un rat, la phrase s’enrichit du mot « mange  » et du mot « rat » qui prend sa juste place après « mange ». Cette démonstration ne requiert pas des compétences de grammairien ; des manipulations fort simples suffisent à montrer comment la modification de l’ordre des mots ou l’ajout d’un mot transforment le dessin qui correspond à la phrase. Les deux questions-clefs sont : « Qu’est ce qui a changé dans l’image ? » et « Qu’est ce qui a changé dans la phrase ? » ; et vice versa.

Le mime constitue une façon de rendre compte des choix grammaticaux de manière très concrète et très dynamique. Un exemple en CE1 concernant les différentes valences des verbes :

Dans une boîte, sont placées des étiquettes sur lesquelles sont inscrits des verbes qui induisent respectivement des constructions grammaticales très différentes ; de type « courir » (intransitif, monovalent), « rencontrer » (transitif obligatoire, bivalent), « manger »(transitif, bivalent), donner( transitif, trivalent), être(verbe d’état).

On constitue deux ateliers : l’un est chargé d’écrire des phrases avec un verbe tiré de la boîte ; l’autre devra mimer les phrases proposées.

Ainsi, un élève du groupe d’écriture tire le verbe « offrir ». Le groupe propose la phrase « le loup offre une glace au petit chaperon rouge ». Le groupe de mime va alors tenter de représenter l’expérience évoquée.

L’objectif est de mettre en rapport la structure de la phrase (sujet+verbe+COD+COS) et les personnages et objets réunis par le mime. Pour un verbe comme « manger », on mettra en évidence que seul un personnage et un objet sont impliqués. Avec « courir, l’objet disparait. Et enfin avec le verbe être et un adjectif attribut, il ne restera plus qu’un objet ou un personnage portant une qualité particulière. Au fil des ateliers les élèves se rendront compte que les verbes de types différents entraînent des constructions grammaticales différentes chacune correspondant à une réalité concrète particulière.


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