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Ecoles et langues régionales

Alain BENTOLILA, mai 2023

            Notre histoire a traité de façon très inégale les différentes langues de France.. Le français a ainsi confisqué à son seul usage les cercles officiels de la communication, chassant du même coup d’autres langues de ces lieux de pouvoir. Tous ces instruments de communication minorés, que l’on nomme dialectes ou patois sont en fait des langues qui ont manqué de chance. Elles partagent avec les langues dominantes les mêmes structures fondamentales et le même potentiel de communication, mais elles ont été longtemps – et sont encore – confinées à un usage de proximité et de connivence. Elles portent dans leur vocabulaire et même dans leurs structures syntaxiques les traces de l’ostracisme qu’elles ont subi.

La situation linguistique ne fait que refléter la situation sociale ; inégalités pour inégalités, injustices pour injustices. Elles sont l’une comme l’autre le résultat d’une longue histoire au cours de laquelle des groupes ont imposé à d’autres un injuste pouvoir. La situation linguistique ne peut changer que si se modifient, de façon significative, les rapports des forces économiques et sociales qui l’animent. En aucun cas un décret ou une charte n’aura le pouvoir d’effacer les inégalités que les aléas de l’histoire ont instaurées, entre les langues. C’est bien mal connaître les langues que de croire que l’on peut ainsi modifier leur hiérarchie en décrétant leur officialisation du jour au lendemain. Une langue minorée ne peut voir son statut évolué qu’au rythme de l’évolution du peuple qui la parle. Elle ne développera de nouvelles formes orales, elle ne déploiera son écriture que si lui sont honnêtement proposés de nouveaux défis de communication. Une langue déteste qu’on lui concède un statut de papier qui ne correspondrait pas à de vrais territoires sociaux, culturels, économiques… qu’on l’invite sincèrement à conquérir. Alors, et alors seulement, elle créera les mots capables de dire ce monde jusque-là confisqué. Alors, et alors seulement, elle inventera les tournures et les structures capables de donner, à ce monde nouvellement investi, un sens qui sera nécessairement différent de celui imposé jusque-là par la langue dominante. Si l’on n’est pas capable de transformer en profondeur la distribution sociale, économique et culturelle des langues d’une nation, il faut se garder d’introduire à l’école ces langues longtemps minorées en espérant ainsi leur rendre une justice tardive.

            C’est sans doute pourquoi je considère avec perplexité les gesticulations au sujet du statut des langues régionales et avec inquiétude leur prétention à entrer dans l’école. Quelles transformations concrètes peut-on réellement attendre de l’entrée dans l’école du breton, du basque, du corse ou du créole ? L’avenir des élèves en sera-t-il changé ? Pas du tout, si une telle décision n’est pas accompagnée par une transformation en profondeur de la communication publique. Une école en langue régionale n’a strictement aucune signification, si au dehors les journaux, les tribunaux et l’administration restent les domaines exclusivement réservés à la langue française. Ce serait faire d’une telle école un isolat identitaire, et cela constituerait au mieux une erreur, au pire une tromperie L’école est le lieu où l’on forme intellectuellement des enfants à affronter le vrai monde, où on leur fourni les instruments de communication efficaces pour faire leur chemin dans un monde difficile. L’introduction de la langue catalane dans les écoles de « l’Autonomie » fut légitime et juste ; elle était l’aboutissement d’un processus de transformation politique, administrative et sociale. L’arabisation brutale et autoritaire au profit d’une langue dite classique, qu’une infime minorité d’algériens et de marocains utilisait, fut un échec épouvantable. Quant à la création d’isolats scolaires en Bretagne, en Occitanie ou ailleurs, cela tient d’une mise en scène qui feint de promouvoir une langue maternelle alors que la plupart des élèves découvrent avec peine une langue qui leur est étrangère. L’Ecole doit mettre tout en œuvre pour distribuer de la façon la plus équitable le pouvoir linguistique : celui qui permet de se défendre contre la tromperie, les mensonges et la propagande. Assurons nous qu’elle donne à nos enseignants les moyens de donner à tous leurs élèves la maîtrise du français et cultivons par ailleurs avec tout le soin nécessaire la diversité de notre patrimoine linguistique et culturel.

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