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Une école qui combat l’enfermement et le sectarisme

Alain BENTOLILA, 02/04/2023

Le fait que les élèvesappartiennent, par un hasard heureux ou non, à des groupes dans lesquels ils partagent certaines croyances, certaines références culturelles, certains comportements, ne doit en aucune façon réduire la liberté intellectuelle de chacun d’eux. Tout comme cela ne doit jamais troubler les valeurs universelles au nom desquelles le projet éducatif national les rassemble. Il apparaît donc absolument essentiel de faire distinguer clairement dans nos classes les deux concept d’appartenance (x ∈ E) et d’identité(x=E). Tous les élèves doivent comprendre que ce qui les rassemble est infiniment plus important que les appartenances qui les divisent, car, de ces dernières, ils ne sont que les dépositaires. L’Ecole n’exigera pas d’un élève qu’il trahisse ses particularités ethniques ou confessionnelles ; mais elle lui fera comprendre qu’une appartenance, s’il ne doit pas la renier, ne saurait en aucun cas définir son identité. L’Ecole -tout en respectant la diversité culturelle et cultuelle de ses élèves- s’efforcera de donner ainsi à chacun le pouvoir d’analyser librement une situation dans toute sa complexité et sa profondeur historique. Elle refusera que quiconque en son sein puisse se voir imposer, au nom d’une appartenance héritée, une vision tronquée et stéréotypée du monde. L’appartenance à une communauté confessionnelle et culturelle contribue bien sûr à colorer l’identité de chaque élève d’une façon particulière ; elle le place au sein d’un réseau dans lequel sont chaleureusement partagés des comportements, des traditions et des goûts qui lui sont chers. Mais en aucun cas cette appartenance rassurante ne doit lui dicter ses convictions, affaiblir son exigence d’objectivité ni éteindre sa soif de justice. En aucun cas elle ne doit aliéner l’autonomie d’analyse et de jugement qui construisent, jour après jour, son identité.

Faire le pari de l’universel

Sauf à faire le choix honteux d’une « épuration scolaire » – c’est-à-dire accepter que l’on mette à la porte de nos classes tous ceux de langue, de culture et de confession différentes, l’Ecole devra faire le pari de l’universel. Elle devra faire aimer à tous les élèves, d’où qu’ils viennent, les valeurs qui les rassemblent contre les croyances communautaristes qui les séparent.

 Certains diront -je les entends déjà- que le vrai, le beau, le juste, cela n’existe pas ; que ce ne sont que des constructions élaborées par les « élites culturelles » pour assurer leur pouvoir. Ils affirmeront, ces bons apôtres, que la beauté et la vérité sont des concepts qui ont été confisqués par ces élites pour tenter de neutraliser abusivement la « merveilleuse » diversité des « points de vue », des « ressentis », et des « goûts ». En bref, selon eux ce qui est beau est ce qui semble beau à chacun, ce qui est vrai est ce qui paraît vrai à chacun et enfin ce qui est juste dépend du statut de celui qui le proclame. La beauté ne se partagerait donc pas dans un émerveillement collectif tissé au fil des âges, mais se diluerait dans la diversité des goûts et des dégouts. La vérité ne se démontrerait pas avec rigueur mais céderait à tous coups devant l’évidence et les préjugés. Et par conséquent, un instituteur ne devrait pas chercher à identifier et à corriger les erreurs de certains de ses élèves car elles ne seraient en fait que l’expression de leur a singularité culturelle : « pas faux, simplement différent ! ». L’Ecole devrait donc, selon eux, se soumettre à la diversité des opinions et des croyances de chaque élève, et certainement pas faire du caractère universel des connaissances et des valeurs une de ses priorités. C’est ainsi que certains de ces idéologues rêvent d’une éducation où chaque élève verrait « midi à sa porte », en se fichant que certains risquent de ne jamais voir se lever le soleil. C’est contre cette « petite musique de nuit » qui séduit de plus en plus ceux uniquement soucieux de ne « discriminer » personne, que nous devons défendre vaillamment une même ambition éducative pour tous en assignant à l’Ecole la mission de placer l’universel au-dessus du national et le national au-dessus des communautarismes.

Seule une spiritualité laïque pourra donner un sens honorable à l’engagement religieux

Le jour où les hommes se donnèrent l’ambition de comprendre et d’interpréter eux-mêmes le monde au lieu de se contenter de contempler sagement l’œuvre de Dieu, ce jour-là fut le premier jour de la laïcité. Renoncèrent-ils alors, pour autant, à s’engager ensemble dans un élan spirituel, portés par la force partagée du verbe ? Non ! Je veux affirmer ici que la laïcité n’exclue en rien la spiritualité ; bien au contraire, elle la féconde ! Aujourd’hui maîtres et élèves doivent regarder vers le haut, même et surtout, s’il n’y a personne. Et c’est cette « élévation spirituelle sans dogme » qui définit l’école laïque. C’est ce désir d’apprendre qui les poussera à tenter de défaire, jour après jour, dans chaque classe, l’entremêlement mystérieux des principes qui font le fonctionnement et la cohérence du monde ; questionnant avec autant d’audace que de respect, expliquant avec autant d’humilité que de courage. C’est au nom de cette volonté collective d’élévation des esprits que chaque jour les maîtres inciteront leurs élèves à interpréter librement tous les textes fondateurs qu’ils soient profanes ou sacrés, parce que ces textes leur raconteront leur humanité et de ce fait, les rassembleront. L’Ecole ne doit donc pas se laisser voler « le concept de spiritualité » par des gourous sectaires qui interdisent à leurs disciples d’exercer leur droit à leur propre élévation. Au contraire elle doit oser inscrire la question de la spiritualité au centre de ses devoirs éducatifs pour souligner sa dimension universelle. En d’autres termes, elle défendra le fait que « l’élan spirituel » est commun à tous les hommes quel que soit le nom que lui donnent les différentes religions, quelques soient les récits que chacun raconte à son sujet, quelques soient enfin les rituels qui le célèbrent. Elle apprendra donc à tous les élèves que c’est la liberté d’interpréter personnellement chaque texte, fut-il sacré, qui sépare l’élan spirituel laïc de l’enfermement sectaire. C’est ainsi que nous détournerons les élèves de ces lieux obscurs où se confondent verbe et incantation, lecture et récitation, foi et endoctrinement ; là où le caractère sacré d’un texte le rend impropre à la compréhension ; là où la quête du sens est radicalement considérée comme dangereuse, profanatrice et impie. C’est en apprenant à leurs élèves à imposer aux textes de toutes natures et de toutes obédiences des interprétations singulières et respectueuses que nos instituteurs éviteront que les mots de ces textes ne s’égrènent pour n’être plus que des mots de passe ou des mots d’ordre qui donneront à leurs élèves l’illusion d’une communion spirituelle alors que ne les rassembleront que les peurs et la haine des autres.


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