– 2ème partie –

Les différentes étapes de l’apprentissage de la lecture


  • De la logographie à l’identification des mots

Au tout début de ses contacts avec les mots les élèves en distingueront quelques-uns par leur longueur, leur allure générale, leur « silhouette ». Ils remarqueront que certains sont plus longs, d’autres plus courts ; que certains ont une barre qui pointe vers le haut et d’autre vers le bas ; que certains enfin ont un point ou un accent…Mais ils vont vite se rendre compte que de tels critères de distinction sont très insuffisants et qu’ils risquent d’aller de confusion en confusion. Ils seront par exemple tentés entre TRAIN (mot court) et MICHELINE (mot long) d’inverser les identités respectives des deux mots sous prétexte qu’un train a de nombreux wagons et le mot MI-CHE-LI-NE de nombreuses syllabes.

Cette phase, que l’on appelle « logographique », est donc nécessairement courte et doit laisser place à une démarche plus efficace et plus sûre d’identification des mots : la mise en relation des lettres ou groupes de lettres et des sons qui leur correspondent. Si il existe une réelle complexité en français dans les relations entre lettres et sons et plus encore entre sons et lettres, ces correspondances obéissent à des règles suffisamment régulières pour que l’on puisse enseigner au jeune enfant le principe alphabétique : il pourra ainsi, dans 85% des cas, trouver le son qui correspond à une lettre ou à un groupe de lettres. Ce qui, vous en conviendrez, n’est pas négligeable.


  • La découverte du principe alphabétique

Le principe alphabétique, c’est le système des correspondances entre les graphèmes et les sons qui correspondent respectivement à chacun d’entre eux. Le principe alphabétique ne se réduit pas à réciter l’alphabet en nommant les vingt-six lettres qui le composent. La maîtrise du principe alphabétique consiste à savoir associer les graphèmes c’est à dire les lettres simples (A, P, T, O…,) ou complexes (AN, CH, AI, ON…) aux sons qu’ils portent respectivement. Ces relations sont parfois simples et directe comme la lettre « r » qui correspond au son /R/dans tous les cas ; mais elles peuvent être complexe et obéir à des conditions contextuelles, comme pour la lettre « s », qui selon sa position peur renvoyer ver le son /S/ ou /Z/.

L’enfant doit avant tout saisir que tout ce qui se prononce peut s’écrire avec des signes uniques ou composés et que tous les signes écrits peuvent être prononcés, … à quelques exception près, (lettres muettes et marques de nombre et de genre). La saisie du principe alphabétique n’est pas simplement le résultat d’une répétition ! Sa logique apparaît à mesure que la régularité des correspondances graphème/phonème se dévoile. Cette découverte du fonctionnement du principe alphabétique ne s’effectue pas au même rythme pour tous les élèves. Le déclic demande pour certains la présentation de mises en correspondances plus nombreuses que pour d’autres ; mais une fois comprise la logique de fonctionnement, vous constaterez que les élèves vont appliquer le principe alphabétique à des correspondances que vous ne leur avez a pas encore enseignées. N’essayez donc surtout pas « d’aller pas plus vite que la musique » et suivez une progression soigneusement définie.

La maîtrise du principe alphabétique est bien le véritable moteur de l’identification des mots. C’est parce qu’il saura associer une combinaison de graphèmes à la combinaison de sons qui lui correspond qu’un enfant pourra identifier un mot qu’il n’a jamais lu. Sans cette capacité, il serait en échec ou en dépendance devant chaque mot écrit rencontré pour la première fois. La reconstitution de la forme phonique des mots à partir de sa composition graphémique est pour l’élève le seul moyen d’entrer dans le code écrit en construisant un pont avec ce qu’il possède : les mots de son langage oral. Faudrait-il préférer le plaisir immédiat d’une de lecture tâtonnantes et priver un enfant de la maîtrise d’un instrument de véritable autonomie ? Pas du tout ! Apprendre à lire implique de découvrir, les unes après les autres les règles conventionnelles qui régissent le code écrit afin d’associer la composition alphabétique des mots à leur composition phonique. Un élève saisira donc progressivement la mécanique générale du code écrit qui veut que chaque son puisse être codé par une graphie, simple ou complexe, et que chaque graphie puisse appeler une sonorisation particulière.


  • La puissance de la combinatoire des sons et des lettres

A mesure qu’il maîtrise les correspondances graphophonologiques, l’enfant va découvrir la formidables puissance de production de la combinatoire des lettres et des sons. Il se rendra compte qu’avec quatre à cinq lettres il peut composer des quantités très importante de combinaisons. Ainsi avec les cinq graphèmes A, L, P, U, I, il va pouvoir créer, en se limitant à une seule syllabe : PI, PU, PA, LI, LA, LU, AL, UL, IL, PIL, PUL, PAL, LIP, LAP LUP, ALP, PLA, PLI, PLU ….et des dizaines d’autres encore.

C’est le moment de lui faire comprendre que la langue française effectue une sélection parmi l’immense quantité des combinaisons possibles. Certaines sont sélectionnées pour fabriquer les mots de son vocabulaire alors que d’autres sont laissées pour compte ou… mis en réserve. Ainsi, si POUL, PUL, PIL, PAL et PLI servent de supports à des mots du français, par contre LUP/LIP/LOP/ attendent sagement d’être, peut-être un jour, sollicités. Vous allez donc lui faire distinguer sous forme de jeux les combinaisons qui évoquent un objet ou un personnage de celles qui ne sont que des « logatomes » et qui ne font que du bruit. Vous ferez émerger, par l’image mentale qu’elles évoquent et le dessin qu’elles permettent, les combinaisons graphophonologiques qui nomment un personnage, un objet ou un animal et les distinguerez de celles qui pourraient les nommer mais n’ont pas été « élues » à cette fonction.

On dira qu’un élève a compris le principe alphabétique quand :

Ayant appris que « l+a » se prononce /la/, il sait également distinguer chaque phonème séparément et peut donc prononcer que la combinaison « a + l » = /al/.

Il apprend à faire de même avec « i » à la place de « a », et peut donc prononcer et écrire « il » et « li » ;

il est capable de proposer tout seul /lu / et /ul/ quand on lui aura fait identifier le « u ». De même, si on lui présente « t » à la place de « l », il saura dire /tu/ et /ut/, etc.

L’enfant peut donc construire tout seul les combinaisons en syllabes qui associent des consonnes et des voyelles.


  • Il comprend que le but du déchiffrage n’est pas de faire du bruit. S’il se donne la peine de déchiffrer c’est pour pouvoir accéder au sens des mots

A six ans, quand il arrive au cours préparatoire, un enfantdevrait avoir stocké dans sa tête un répertoire de quelque 2000 mots oraux. Cela lui permet, lorsqu’on lui parle, de reconnaître le « bruit singulier d’un mot » entendu et d’en comprendre le sens en interrogeant le petit dictionnaire mental qu’il s’est progressivement fabriqué afin de comprendre ce qu’on lui dit. C’est ce même dictionnaire de mots oraux qu’il pourra questionner en toute autonomie lorsque, sa maîtresse lui aura appris à traduire en sons ce qu’il aura découvert en lettres. En d’autres termes, c’est la bonne maîtrise du déchiffrage des mots qui lui permet d’adresser une requête phonique à son répertoire personnel. La bonne qualité du vocabulaire oral qu’il possède est alors, évidemment essentielle pour que sa requête ait une chance de recevoir une réponse sémantique.

UN EXEMPLE :

Un élève n’a encore jamais lu le mot « oranger » ; mais il a appris, parce qu’on le lui a enseigné à l’école, que les lettres ou groupes de lettres correspond chacun respectivement à un son de la langue, et ce dans un ordre et une combinaison particulière. Fort de cette habileté, Il va donc, pas à pas, construire « le bruit du mot écrit ». S’il fait cela ce n’est pas simplement pour oraliser le mot écrit en respectant sa combinaison graphique, mais parce ce que ce bruit reconstitué représente pour lui la clé d’accès à son dictionnaire mental. En effet, en découvrant sous les sept lettres du mot « oranger » les cinq sons /o.r.âj.é/ dans leur arrangement syllabique, il va pouvoir interroger son « dictionnaire oral » afin d’obtenir le sens qui correspond à cette combinaison phonique. En d’autres termes, ayant traduit en sons ce qu’il voit en lettres, il pourra, syllabe après syllabe, interroger son répertoire personnel en demandant : « Y a-t-il un abonné au numéro que je demande ? », et ce dictionnaire lui livrera le sens du mot écrit qu’il vient de découvrir, sans qu’aucun adulte n’intervienne. Mais la réussite de cette opération dépend de ce que le mot « oranger » fait ou non partie de son vocabulaire ! Si le mot recherché n’appartient pas à son vocabulaire, ou si son sens est imprécis, alors la réponse sera : »il n’y a pas d’abonné correspondant à ce numéro ». Et l’élève sera condamné au bruit et privé de l’accès au sens. N’oubliez pas que les inégalités en termes de stock lexicales sont considérables et donc que l’enrichissement du vocabulaire de vos élèves est primordial.


  • Du déchiffrage oralisé, il passe à la reconnaissance orthographique des mots

Le français écrit est réputé – souvent critiqué- pour avoir une orthographe trop complexe qui mettrait inutilement en échec certains élèves et « stigmatiserait » plus tard certains adultes. Régulièrement à chaque rentrée scolaire, sous le prétexte de « sauver » les élèves les plus fragiles, quelques bons apôtres prétendent simplifier notre orthographe jusqu’à en faire un outil de transcription phonétique. Ils oublient simplement que si la complexité orthographique rend l’écriture délicate (un P ou deux P ; EN ou AN ; ç ou s…), elle facilite et fluidifie considérablement la reconnaissance des mots écrits. En bref, si les « fantaisies » orthographique de notre langue rend l’écriture difficile, elle constitue un tremplin formidable pour la lecture silencieuse et rapide :

L’écriture orthographique « pare » en effet certains mots du français de lettres qui n’ont pas de correspondants phoniques mais qui font partie intrinsèque de leur identité orthographique et la distingue. » Encre » n’est pas »Ancre », « Boue » n’est pas « Bout » et « Bar » n’est pas « Barre »… Quant au mot Pharmacie, décoré d’un PH, d’un C et d’un E final, il s’identifie d’un seul coup d’œil. En bref les élèves, dès le mois de février, s’apercevront que l’orthographe des mots n’est souvent pas le calque exact de leur combinaison phonique; elle la complète en distinguant les mots écrits homophones et en révélant les filiations qui les lient.

.L’oralisation systématique pèse lourdement sur l’acte de lecture : elle ralentit son cours et peut parfois rendre la compréhension d’un texte difficile. Cela ne veut bien sûr pas dire que lire à HAUTE VOIX empêcherait de comprendre le sens d’un texte. La construction du sens est au bout de la lecture silencieuse comme de la lecture à haute voix. Mais lire silencieusement pour soi-même est sans nul doute la façon la plus rapide et la plus économique de lire. Vous mènerez donc vos élèves vers ces deux modes de lecture en leur proposant des activités spécifiques et alternées. Il faudra à la fois les entrainer à oraliser de façon précise et rapide, mais aussi les engager de façon explicite à reconnaître orthographiquement des mots afin d’accéder à la lecture dite « des yeux » ou autrement dit d’emprunter la voie directe après avoir maîtriser la voie indirecte(lettre/sons/sens). Deux types d’activités simples vous permettront d’aider les élèves à lire par la voix directe en effaçant l’obligation d’oraliser : celles qui ouvrent àune habileté d’épellation et conforte la mémorisation orthographique et celles qui permettent un usage pertinent du contexte.

Dès le mois de février, vous pourrez introduire parallèlement aux entraînements oralisés de fluence ( déchiffrage rapide de mots, phrases et petits textes) des jeux d’épellation. Vous donnerez ainsi une place aussi importante aux lettres qui se prononcent qu’à celles qui ne se prononcent pas : l’élève s’entraînera donc à énoncer la « carte d’identité orthographique » des mots. Ces activités d’épellation, effectuées de façon régulière, visent à faire prendre conscience de la composition orthographique des mots et à la mémoriser. La mise en mémoire de l’orthographe d’un mot doit être travaillée régulièrement.

Le contexte est un élément qu’un élève doit apprendre à utiliser avec discernement. Un jeune lecteur qui cherche à gagner en rapidité, court ainsi beaucoup plus le risques de prendre parfois un mot pour un autre que lorsqu’il oralisait systématiquement. Il est donc important, au moment même où vous invitez un élève à accélérer sa lecture, de l’accompagner dans des activités qui lui apprendront à revenir en arrière lorsque le contexte l’avertit d’une erreur probable. L’usage judicieux du contexte permet ainsi, dans la phase de lecture silencieuse, à la fois d’anticiper l’identification d’un mot ET de déjouer les pièges . On pourra ainsi multiplier les jeux qui permettent de mettre en évidence le rôle facilitateur du contexte mais aussi sa capacité de « veille » contre les « faux sens ». Ainsi :

« Papa a fabriqué un …….. pour mon petit frère ». Vous demandez à un élève de choisir entre : « berceau » ou « cerceau ». Vous lui dites : « Attention la suite est : « Il va pouvoir dormir dedans ». Et vous attendez sa réaction. Puis vous changez la suite en : « Il va pouvoir courir derrière ». Le jeu vaut essentiellement par la discussion qu’il suscite : si la suite est X, alors le mot manquant est … ; si la suite est Y alors c’est l’autre mot qui convient.

Attention ! La reconnaissance orthographique des mots n’a rien à voir avec une reconnaissance GLOBALE. Ce n’est pas l’image globale des mots que l’enfant reconnaît comme il reconnaitrait un visage. C’est la reconnaissance de la composition des lettres qui fait l’identification juste et précise d’un mot. Même si l’identification orthographique peut souvent reposer sur une partie seulement des lettres qui le composent. Il soumettra tout ou partie des compositions orthographiques respectives des mots à son dictionnaire mental qui déclenchera « directement » la mise à disposition du signifié du mot.


  • Il enrichit son vocabulaire pour mieux lire ; il lit pour enrichir son vocabulaire

Nous avons souligné combien l’importance de la quantité et de la qualité du vocabulaire de vos élèves était décisive pour qu’ils aient une chance raisonnable de ne pas rester au stade de l’identification d’un mot sans pouvoir accéder à son sens. Si, comme c’est parfois le cas, certains ne possèdent qu’un nombre très restreint de mots souvent peu précis, alors leur dictionnaire mental répondra le plus souvent à ses requêtes : « je ne possède pas ce mot en stock ». Et à force de ne pas recevoir de réponse à leur question, ils risqueront d’en déduire qu’il n’y a aucun sens à espérer derrière la lecture.

Il est donc essentiel d’enrichir le vocabulaire des élèves. Mais pour les accompagner dans leur quête heureuse de mots nouveaux, il faut les aider à les ranger d’après leur forme et d’après leur sens sur les étagères de leurs mémoires respectives. Il faut en effet éviter que, dans leur mémoire, viennent s’entasser en désordre des mots dont ils ne sauront ni identifier la famille, ni définir la lignée, et encore moins percevoir les affinités sémantiques. Or ils ne sauront trouver les mots justes (en production comme en réception) que dans la mesure où ils pourront s’appuyer sur des indicateurs qui les y conduiront. Cela signifie que vous devez les aider à savoir tisser des liens entre les mots de leur vocabulaire : liens syntaxiques, liens morphologiques, liens sémantiques.

L’appétit du mot nouveau leur viendra d’autant mieux qu’ils sauront lui trouver sa juste place sur les étagères bien rangées de son stock lexical. Cela signifie que l’on doit les aider à tisser des liens entre les mots de son vocabulaire : liens syntaxiques, liens sémantiques, liens morphologiques et liens étymologiques.

Quelques exemples :

– Quelques question fort simples vous permettront de constituer des ensembles syntaxiques :« Que trouve-on dans la mer ? », « Que fait-on à la mer ? » et « C’est comment la mer ? »

– Vous chercherez ensemble des mots de même famille des plus simples au plus complexes.

Par exemple, que peut-on faire avec « charge » ?(Charger, chargeur, décharge, recharger, décharger, déchargement…)

Et avec « branche » ? (Brancher, débrancher, rebrancher, branchage, branchies, branchement, branchée…)

Et avec « route » ? (Routier, routine, autoroute,, dérouter, routagz…)

Et qu’entend -on de pareil ans « rhinocéros », « rhinite » et « oto-rhino-laryngologiste » ? Et dans « cardiaque », « cardiologie » et « électrocardiogramme » ? Ou encore dans « patriarche », « patronyme », « patrie » et « patron » ?

Et si vous essayez de trouver tout ce qui a un rapport avec « la peur », puis avec la « joie » ou la « colère » ?


C’est en jouant à ces petits jeux de vocabulaire que vous mettrez vos élèves à distance suffisante des mots pour qu’il apprenne à tisser entre eux les liens qui les ordonnent en les regroupant par leurs natures, leurs formes et par leurs sens. Il faut vous efforcer d’établir une sorte de rituel à la fois ludique et sérieux auquel vous conviez les élèves. Ils y apprendront que chaque mot nouveau est une victoire, que chaque mot gagné les fait grandir, que chaque conquête linguistique leur permet de dire plus justement le monde. Ils découvriront que les mots ont une histoire, qu’ils appartiennent à des familles, que certains sont très proches, d’autres très éloignés et qu’enfin, mieux ils maîtriseront leurs relations et plus ils les utiliseront avec pertinence.


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