– 3ème partie –

Ce qu’il faut savoir sur les méthodes de lecture


  • Une démarche efficace d’enseignement de la lecture doit concilier la maîtrise du code et la construction du sens

Bien souvent, certaines démarches d’apprentissage de la lecture tentent vainement de concilier l’inconciliable. Faire découvrir en même temps et sur les mêmes supports écrits les mécanismes graphophonologiques (le principe alphabétique) et la compréhension des phrases et des textes. Or chacun de ces deux objectifs doivent être poursuivis de façon distincte et complémentaire. Chacun exige en effet que l’on s’appuie sur des supports écrits de dimension et de nature très différentes. La découverte du principe alphabétique impose que l’on fasse manipuler aux enfants des syllabes et des mots simples, soigneusement choisis pour mettre en évidence, selon une progression rigoureuse, les correspondances lettres/sons. Au contraire, la pédagogie de la compréhension demande des écrits riches, authentiques et passionnants.

En tentant de faire découvrir, à partir d’un même support écrit, comment « marche » le code et comment on comprend une phrase ou un texte, on en arrive à appauvrir, voire à pervertir l’un et l’autre des deux objectifs. Soit on condamne les enfants à des textes trop brefs, insipides qui ne pourront leur révéler les magnifiques promesses de la lecture ; on aura alors le choix entre « Papa fume la pipe » et «Lily lit dans les lilas». Soit on les expose immédiatement à des textes certes riches, variés et porteurs de sens mais qui se prêteront mal à la mise en évidence des relations qui lient les lettres et groupes de lettres de l’écrit aux sons de l’oral. Or il n’est pas question de négliger l’un ou l’autre de ces deux objectifs. Ul vous faut donc veiller à ce que, durant les premiers mois de l’apprentissage, ces deux objectifs soient clairement distingués afin d’être poursuivis chacun avec une égale rigueur. Vous leur lirez donc régulièrement de belles histoires de façon orale. Et parallèlement, vous vérifierez la maîtrise des relations graphophonologiques. Ce n’est que lorsque vos élèves auront découvert le principe alphabétique, lorsqu’ils auront compris le rôle joué par les indicateurs grammaticaux, lorsqu’ils auront ainsi acquis une progressive autonomie de décodage que vous pourrez les inviter alors à une lecture de plus en plus autonome de textes de plus en plus variés.


  • Pour en finir avec les polémiques stériles, sachez analyser les méthodes de lecture en identifiant leurs point forts et ceux qui le sont moins

Des polémiques méthodologiques sans fondement scientifiques, attisées par des prises de positions idéologiques, ont condamné l’apprentissage de la lecture à une cinquantaine d’années d’errance en matière de choix pédagogiques et de contenus de formation. Deux groupes se sont ainsi longuement affrontés – et s’affrontent encore – mélangeant, jusqu’à la caricature, pédagogie et idéologie, et oubliant, l’un comme l’autre, l’intérêt des enfant les plus fragiles. Ils s’accusent réciproquement, encore aujourd’hui, d’être les « fossoyeurs de l’éducation » ; ils préfèrent les slogans, les mots d’ordre et les anathèmes à la rigueur méthodologique et au suivi lucide de chaque élève. D’un côté, se trouvent ceux qui, uniquement préoccupés d’assurer un déchiffrage oralisé des mots, oublient que la compréhension des mots, des phrases et des textes ne découlera pas « naturellement » de cette seule habileté. Ils négligent donc le fait que la construction du sens doit faire l’objet d’un apprentissage explicite. De l’autre côté, il y a ceux qui, trop naïvement séduits par le chatoiement des textes, négligent l’entrainement précis et régulier au déchiffrage rapide et précis des mots et des phrases. Dans cette « guérilla méthodologique », chacun brandit son écusson : méthode strictement syllabique pour les uns ; albums de jeunesse illustrés pour les autres.

Ne vous laissez jamais enrôler dans l’un ou l’autre camp ; le seul engagement que vous devez prendre en matière d’apprentissage de la lecture est le suivant : « Je refuse que l’insécurité de lecture et l’impuissance d’écriture de mes élèves soit programmées dès 6 ans. ET par conséquent, je veillerai à leur donner un langage oral riche et précis ; je m’assurerai la fluidité de leur décodage et enfin je les accompagnerai dans une juste compréhension des mots, des phrases et des textes .

Un tel engagement suppose que vous soyez capable, sans préjugés, d’analyser la méthode de lecture qui sera utilisée à l’école, afin d’identifier ses points forts et ses points faibles pour mieux accompagner l’apprentissage de vos élèves. Il existe quatre types de méthode de lecture.


On dit souvent qu’elle met en œuvre un modèle ascendant : c'est-à-dire que l’on part de l’unité son et lettre, puis, par combinaison successives, on arrive à la syllabe, au mot, à la phrase et au texte. La méthode synthétique propose donc à l’enfant d’apprendre à distinguer des unités minimales (graphèmes et phonèmes ) en commençant par des activités de discrimination visuelle des graphèmes et en apprenant leur correspondances avec les sons de la langue. Cette démarche réflexive, conduite lors de l’apprentissage, est loin d’être naturelle pour l’enfant qui pratique la langue orale comme monsieur Jourdain et n’a donc pas la moindre idée de la segmentation des phrases qu’il prononce. L’enfant doit donc développer conjointement sa conscience phonologique et sa conscience graphématique c’est-à-dire percevoir qu’un mot se compose d’unités graphiques et phoniques fréquentes ou rares, régulières ou irrégulières, mais distinctes, reproductibles et combinables. Il découvrira que changer un seul son, ou une seule lettre d’un mot peut en changer le sens : /tro/ - /gro/ ou /bol/ - /bal/, ou /mal/-/bal/-/dal/ ou /léo/ - /léa/, etc. Il doit aussi saisir que les graphèmes (lettre ou groupes de lettres) sont l’équivalent des phonèmes et représentent la plus petite unité distinctive de l’un et l’autre code. Enfin, lorsque l’enfant aura compris qu’à toute unité sonore correspond une unité écrite (même si elle peut se traduire par une ou plusieurs lettres comme CH, PH, OU…), il aura compris le « principe alphabétique ». C’est dans la méthode synthétique qu’on distingue clairement « voie directe »( passage par l’oralisation) et « voie indirecte »( accès directe à la combinaison orthographique)

On reproche pargois à la méthode synthétique son côté artificiel et mécanique. Certains regrettent que l’enfant ne soit pas mis d’emblée en face de vrais textes au moment où il décompose et recompose ; et que la conquête du sens se trouve ainsi différée. On doit cependant reconnaitre qu’elle donne des outils très systématiques et précis de maîtrise des mécanismes du code et permet, assez vite, d’entrer dans une forme d’autonomie de lecture, notamment pour les élèves les plus fragiles au plan linguistique

Conseils

Si vous utilisez une méthode synthétique, il vous appartient de « compenser » certains aspects parfois délaissés par des manuels de ce type. Il s’agit de faire accéder vos élèves à la construction du sens alors que les méthodes synthétiques mettent un accent très prononcé sur les mécanismes du code. Ainsi :

  • Lisez systématiquement des histoires en prenant le temps nécessaire à vous assurer de leur compréhension.
  • Demander à la fin de chacune quel film votre enfant s’est fait dans sa tête ; n’hésitez pas à rappeler le texte en cas d’une imagination par trop débordante.
  • Faites parler des personnages, interrogez-vous sur les lieu et sur la chronologie des actions.
  • Expliciter certains mots difficiles
  • Tous les jours faites une cueillette de mots : deux mots nouveaux par jours dont on cherche le sens. Sens propre mais aussi sens dans des phrases différentes. On constitue avec l’enfant un « trésor de mots » que l’on ira revisiter régulièrement.
  • Faites découvrir dans une phrase les « morceaux » qui disent « QUI ? », ceux qui disent QUOI ?, OU ?...

Certains l’appellent méthode idéo visuelle, logographique, le plus souvent, et de façon abusive « globale ». La méthode analytique consiste à partir de mots, de phrases et de textes à formuler des hypothèses sur leur composition. L’enfant utilise d’abord des fragments entiers (mot ou phrase) pour construire un message écrit. Il est ensuite amené à analyser le code écrit directement à partir de phrases ou de textes. Il est donc censé déduire le fonctionnement du code écrit par tâtonnements successifs sans référence aucune à la structure de la langue orale. Se fondant sur l’idée contestable que l’on peut apprendre une langue étrangère en ne passant que par l’écrit et sans savoir la prononcer ou la parler on en déduit que les enfants doivent considérer l’écrit comme un code nouveau spécifique.

La méthode analytique défend donc une sorte d’immersion dans le texte écrit, notamment en partant d’emblée d’albums de jeunesse. Elle préconise donc un accès immédiat et prioritaire au sens par hypothèse successives. La part accordée aux pratiques culturelles de la lecture, à la connaissance de l’objet livre y est donc importante. Par contre le travail patient et rigoureux sur le code graphophonologique et l’organisation grammaticale est quasiment absent.

Cette méthode impose à l’enfant une charge mémorielle de plus en plus lourde au fur et à mesure de la découverte de nouveaux mots et de nouveaux textes, puisque que l’enfant doit retenir des mots entiers, considérés comme des images graphiques chacune associée à un sens particulier. Elles induisent parfois une maîtrise incertaine de l’écrit, des problèmes orthographiques et, surtout, n’est pas favorable à un apprentissage rapide par les élèves les plus fragiles.

Conseils

Avec des méthodes plutôt orientée sur l’analyse des textes et phrases, le danger est évidemment d’encourager l’imprécision dans l’identification des mots et d’inciter à un tâtonnement aléatoire, source d’erreurs et d’ambiguïtés. Vous devrez donc faire travailler les mécanismes du code qui permettent de ne pas confondre les mots. Ainsi :

  • Faites découvrir à l’oral et à l’écrit, une même syllabe dans des mots différents : TAPIS, TABLEAU…
  • Faites trouver des mots qui riment : JARDIN, BOUDIN,GADIN…
  • Faites distinguer des mots très proches : TABLE, SABLE, CABLE
  • Faites remarquer les différences entre p, q, b, d et m, n, u …
  • Prenez soin de faire remarquer que BR de ARBRE n’est pas RB du même mot et que « CARtable » n’est pas « CRAtable »….

Une méthode mixte est un savant mélange des méthodes analytique et synthétique ; en principe, elle est censée reprendre à la fois les avantages et les points les plus intéressants de chacune. Les « méthodes mixtes » sont très présentes et déclinées de nombreuses façons dans les manuels scolaires. Elles présentent l’espoir d’une synthèse, mais en réalité elles sont rarement cohérentes.

Certaines privilégient une abondance de textes dès le début du CP, forcément illisibles par l’élève seul. Cette tendance diffère souvent jusqu’au deuxième trimestre l’observation des lettres ou des groupes de lettres et leur correspondance avec les sons. Ce degré de « mixité » donne ainsi priorité aux textes, et néglige la progression de la découverte des graphies et des sons. Ce déséquilibre pourra provoquer chez l’enfant une confusion entre les moyens d’apprendre à lire : par cœur ou en décomposant et donc de provoquer des malentendus cognitifs

Certaines méthodes mixtes sont heureusement plus rigoureuses. Elles commencent dès le début de l’année à faire découvrir les mécanismes du code écrit et les relations entre graphèmes et phonèmes. La progression est rigoureuse et s’affranchit des phrases et des textes rencontrés.

Afin de permettre aux élèves de lire rapidement des phrases, ces méthodes acceptent le principe de donner globalement des mots outils tels que les articles (le, la, les…), les pronoms (il, elle), quelques prépositions (dans, sur, etc.) et, avec précaution, quelques mots lexicaux souvent déjà appris en maternelle.

Conseils

  • Faites réviser systématiquement ces « petits mots pour vous assurer de leur juste identification.
  • Compensez les manques en travaillant régulièrement sur les mécanismes du code : entraînement à la fluence
  • Lisez très régulièrement des histoires et questionnez leur sens

Cette méthode est la plus récente et sans aucun doute la plus efficace. Elle fait découvrir complémentairement les mécanismes et les enjeux de l’écrit. Elle explicite le principe alphabétique ait soigneusement découvrir le principe orthographique et en même temps, elle développe une pédagogie de la compréhension des mots, des phrases et des textes lus au début par la maîtresse . Les trois composantes essentielles de l’apprentissage de l’écrit sont ainsi traitées de façon complémentaires et s’éclairent les unes les autres.

Chacun de ces objectifs s’appuie sur des supports écrits de dimension et de nature distinctes. La découverte du principe alphabétique et de la combinatoire repose sur par la manipulation de segments courts et soigneusement choisis afin de repérer les unités distinctives orales et écrites. La découverte du principe orthographique émerge avec la découverte des lettres muettes, des familles de mots, des marques de genre et de nombre et des homophones non homographes. La compréhension des phrases est portée par la découverte de la façon dont elles organisent les mots et son pouvoir de création ; enfin la compréhension des textes appelle des histoires cohérentes et passionnantes lues pendant les premiers mois par la maîtresse.

Conseils

Tant qu’un enfant n’aura pas acquis une réelle capacité de décodage, il faut que vous lui proposiez la lecture à haute voix des phrases inattendues qui font ressortir le pouvoir créatifs de la grammaire et que vous lui offriez la lecture de textes aussi riches et variés que possible, c’est ainsi que vous lui dévoilerez les promesses du savoir-lire. Durant cette même vous vous assurerez de la maîtrise des mécanismes du code : identification des graphèmes dans leurs correspondances respectives avec les sons et repérages des indices orthographiques.

C’est seulement lorsque vos élèves commenceront à maîtriser le code, lorsqu’ils auront acquis une progressive autonomie de déchiffrage des mots, que décodage et compréhension des phrases t des textes pourront se rejoindre. Mais il ne faut pas oublier que tous les élèves n’avancent pas au même rythme vers une autonomie convenable de lecture. C’est pourquoi il ne faut pas craindre de prolonger tout au long de l’année de CP la lecture à haute voix offerte à vos élèves.


  • Comment juger de la qualité scientifique et pédagogique d’une méthode de lecture ?

Afin d’écarter tout risque de préjugés, l’analyse de chaque méthode est effectuée à partir d’une grille stabilisée et publiée par l’observatoire national de la lecture (ONL, 2003) et de sa version modifiée, éditée par la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO, 2011). Cette analyse progressive des principales méthodes a été effectuée sous la direction scientifique de Bruno GERMAIN. Trente critères couvrent l’identification des mots, la production d’écrits, la compréhension des grandes unités de la langue. Chaque exercice, ou activité, proposé tout au long de l’année, pages après pages, est passé au crible des critères de la grille. Ce sont les contenus des exercices qui sont observés, pas seulement leurs consignes, parfois trompeuses. Les résultats sont reportés

Sur le tableau récapitulatif ci-dessous qui révèle les spécificités respectives d’organisation, des progressions et des contenus.


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