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Bons en orthographe, bons en lecture

Alain BENTOLILA, 18/01/23

Plusieurs études convergent pour remarquer que s’il existe des sujets faibles en orthographe et bons lecteurs en compréhension, on trouve difficilement des sujets qui, ayant de bons résultats en orthographe, sont vraiment mauvais lecteurs en compréhension (André OUZOULIAS 2016). Une hypothèse s’impose : la baisse des résultats moyens des élèves français dans ces dernières années en lecture semble être liée à celle qui a été observée durant cette même période en orthographe. On pourrait en conclure qu’apprendre à lire et apprendre à orthographier sont intimement liés ; ces deux talents se conjuguent pour ouvrir le monde de l’écrit à nos élèves. On ne peut en effet concevoir un apprentissage accompli de la lecture si l’on n’a pas pris soin de faire construire aux élèves en CP et en CE1 un répertoire de mots organisés en fonction de leurs caractéristiques orthographiques. L’absence de maîtrise de l’orthographe des mots condamnerait de fait un enfant à un laborieux déchiffrage sans espoir de construction du sens. Ce qui, vous en conviendrez ne constitue pas une promesse très motivante.

Le français écrit est réputé – souvent critiqué- pour avoir une orthographe trop complexe qui mettrait cruellement en échec certains enfants et « stigmatiserait » certains citoyens. Régulièrement à chaque rentrée scolaire, sous le prétexte de « d’épargner » les enfants les plus fragiles, quelques bons apôtres prétendent simplifier notre orthographe jusqu’à en faire une simple transcription phonétique. Ils oublient simplement que si la complexité orthographique rend l’écriture délicate (un P ou deux P ; EN ou AN ; ç ou ss…), elle facilite et fluidifie considérablement la lecture des mots. En bref, si les « fantaisies » orthographique de notre langue rendent l’écriture difficile, elle constitue un tremplin formidable pour atteindre une lecture silencieuse et rapide. L’orthographe française-contrairement à celles de l’italien et de l’espagnol, par exemple- « pare » en effet certains mots du français de lettres qui n’ont pas de correspondants phoniques mais qui font partie intrinsèque de leur identité orthographique. « Encre » n’est pas »Ancre », « Boue » n’est pas « Bout » et « Bar » n’est pas « Barre »… Quant au mot Pharmacie, décoré d’un PH, d’un C et d’un E final, il s’identifie d’un seul coup d’œil bien plus rapidement que la forme « farmasi ». Ces « parures » orthographiques sont autant d’indices supplémentaires de distinction.

Lors de l’apprentissage de la lecture, après avoir pris soin de faire découvrir aux élèves les combinaisons graphophonologiques «, on veillera donc à leur donner les clefs de leurs orthographes respectives. Ainsi, on leur montrera que certains mots comportent des lettres qui ne se prononcent pas mais qui doivent absolument être écrites : « raT » ; « lilaS » ; « ruE »….. On leur fera aussi comprendre que ces lettres muettes ne sont pas totalement inutiles, qu’elles ne sont pas là uniquement pour leur tendre des pièges : on s’efforcera de justifier et d’expliquer leur présence. Ainsi les consonnes finales muettes ne sont pas si muettes que cela : les familles de mots expliquent leur existence (plaT/plaTeau/ plaTE/ ; plomB/ plomBier …) ; les marques de genre et de nombre sont, elles, portés par des marques parfois muettes à l’oral mais bien visibles et pertinentes. En bref l’élève s’apercevra que l’écriture orthographique n’est rarement le calque exact de la composition phonique des mots ; elle la complète en aidant à identifier plus efficacement les mots écrits tout en révélant les filiations qui les lient entre eux. Peu à peu, un élève va donc voir émerger, à côté du système graphophonologique qu’il a déjà maîtrisé, un système orthographique qui va dynamiser sa lecture. Il comprend que les mots écrits obéissent à une loi complémentaire (orthographique et non pas seulement graphophonologique) qui permet de distinguer des mots qui se prononcent pareil mais ne s’écrivent pas de la même façon : BOUE/BOUT ; BAN/ BANC, BALLE/BAL ; ROUX/ROUE, TABLEAU/TABLEAUX, JOLI/JOLIE. Cette découverte va l’amener progressivement à privilégier la composition orthographique pour identifier un mot et à ne plus s’appuyer uniquement sur son oralisation systématique.

Oraliser les mots avec fluidité et précision ne peut être l’ultime et seule finalité de l’apprentissage de la lecture. L’oralisation systématique pèse en effet lourdement sur l’activité de lecture : elle ralentit son cours et rend pénible le travail du lecteur ; pouvant parfois rendre la compréhension difficile. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que lire à HAUTE VOIX empêcherait de comprendre le sens d’un texte. La construction du sens est offerte par la lecture silencieuse comme par la lecture à haute voix. Mais lire silencieusement pour soi-même est sans nul doute la façon la plus rapide et la plus économique de lire. On doit donc conduire un élève à maîtriser ces deux modes de lecture en lui proposant des activités spécifiques et alternées. Il faudra à la fois l’entrainer à oraliser de façon précise et rapide pour d’autres, mais aussi l’engager de façon explicite à reconnaître orthographiquement des mots afin d’accéder à la lecture dite « des yeux ». Chacun de ces deux objectifs a sa propre logique et impose donc sa propre démarche. Parvenir à la lecture silencieuse suppose que l’apprenti lecteur ait construit dans sa tête un dictionnaire dont chaque mot sera distingué, non pas par son signifiant phonique mais en fonction de la combinaison des lettres qui composent son orthographe. Ce dictionnaire mental orthographique, soigneusement organisé au plan morphologique et étymologique, sera donc le juste complément du dictionnaire permettant la communication orale. Le premier permettant une lecture « des yeux » quand le second invite à la parole et à l’écoute.

L’efficience des traitements dans l’identification des mots écrits grâce à de bonnes connaissances orthographiques n’est évidemment pas le seul facteur autorisant la mémorisation du vocabulaire. Mais, pour les élèves des milieux populaires, pour lesquels la lecture est la source principale de l’apprentissage d’un registre de langue soutenue, c’est un facteur déterminant. Une faiblesse dans l’orthographe les pénalise bien plus que les enfants des milieux favorisés qui ont de multiples occasions d’enrichir leur vocabulaire sans passer par l’écrit, à travers les interactions orales dans leur milieu social.


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