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Demain ya école !

Alain BENTOLILA, 20/11/22

Oui « demain ya école ! » Comme tous les jours à 8h et demi, chaque enseignant poussera la porte de sa classe pour y retrouver « une vingtaine d’enfants des autres » qui, pour certains, ne savent pas vraiment pourquoi ils sont là et qui, pour d’autres préfèreraient être ailleurs. Il laissera sur le seuil les doutes qui le taraudent, ses espoirs souvent déçus et chaque matin il renouvellera le « serment de l’instituteur » : « vous sortirez pas de ma classe dans le même état intellectuel qui était le vôtre quand vous y êtes entrez. Vous aurez appris des choses que vous ne saviez pas, vous aurez compris des choses que vous ne faisiez que contempler, vous agirez avec plus de discernement et plus de tolérance.

Demain il y aura donc école et c’est heureux ! Mais quelle école ? Nécessairement une école différente, bousculée par les réseaux sociaux et la puissance d’internet, questionnée par la violence, la maladie et aujourd’hui la guerre. Cette école, il faudra qu’elle apprenne à fonder une alliance entre les enseignants et les familles, décidés ensemble à faire de nos enfants des résistants aux manipulations et aux mensonges. Cette école il faudra aussi qu’elle sache tirer le meilleur de deux mondes : le monde où le numérique impose sa fulgurance, face à celui où l’écriture, plus lente, porte plus précisément la pensée ; le monde où l’écran décrète l’évidence, face à celui ou la lecture exige une construction patiente du sens ; le monde enfin où l’image cautionne la vérité, face à celui où on la démontre avec rigueur. Construire cette « école de l’équilibre » demandera des efforts : le renoncement à certaines habitudes confortables, le refus de certaines addictions et le dépassement de petites lâchetés quotidiennes.

Afin d’éclairer cette quête, laissez-moi vous conter une histoire :

Un compartiment de TGV. En face de moi, une famille : père et mère accompagnés d’un adolescent d’une douzaine d’années environ. À mes côtés, une dame d’un certain âge avec un petit garçon de 4 ou 5 ans, dont j’appris plus tard qu’il s’appelait Bilal.

À peine assis, l’adolescent sort sa tablette et se plonge dans un jeu vidéo qui, si l’on se fie au vacarme qu’il produit, est tout sauf serein et pacifique. Cela semble ne pas inquiéter les parents. Le père sort son ordinateur et passe une bonne heure à répondre à ses mails, la mère est sur son portable et regarde les messages laissés par ses « amis » sur sa page Facebook. Entre les membres de cette famille, pas un mot ne sera échangé durant nos deux heures de voyage.

Pendant ce temps, la grand-mère parle à son petit-fils et commente le paysage qui défile. Non seulement elle lui parle, mais elle le regarde dans les yeux et, lui, lui rend son regard. « Tu vois, Bilal, c’est une éolienne », lui dit-elle. « É-o-li-enne, répète gravement l’enfant ; et à quoi ça sert ? » « Eh bien, lorsque le vent souffle, il fait tourner les 3 grandes pales et ce mouvement se transforme en électricité. » Et l’enfant répète « éolienne », « éolienne » chaque fois qu’il en voit une. « Oui, éolienne ! cela vient du nom du dieu du vent Éole, poursuit la grand-mère qui écrit les deux mots sur une feuille. Et là, regarde ! Ce sont des vaches dans ce pré. Et là, ce champ de fleurs jaunes, cela s’appelle du colza et on obtient de l’huile à partir de ses graines… » Encore, et encore se prolongea cette transmission des mots et du savoir en contrepoint éclatant du silence et de l’enfermement de chacun des membres de la « famille connectée ».

Et vous, chers amis, enseignants et parents de quel côté voulez-vous être ? Du côté d’une indifférence autocentrée et mutique ou de celui de l’attention et du langage ? Ne soyez pas nostalgique des veillées au coin du feu au cours desquelles les gens se parlaient, où des enfants curieux écoutaient et parfois même questionnaient, mais soyez certains que l’attention et l’exigence que vous porterez à vos enfants, la volonté de leur transmettre des choses belles et intéressantes, l’écoute que vous leur offrirez et le regard dont vous les gratifierez affirmeront qu’ils comptent pour vous, qu’ils ne sont pas une charge à assumer mais un espoir de continuité. Si, comme moi, vous pensez que le propre de l’homme c’est ce désir de la découverte, cette curiosité de comprendre, cet appétit du questionnement, cette joie de l’échange entre êtres humains, alors, prêtez l’oreille à ces « pourquoi papa, pourquoi maman pourquoi maîtresse ? » que vous adresse un enfant comme un appel à regarder et à questionner ensemble le monde. Négliger cet appel envoyé de l’intelligence d’un enfant à votre intelligence, c’est lui signifier que ses interrogations légitimes ne valent pas cet instant de réflexion partagée, ce moment de suspension où l’adulte met de côté son occupation du moment pour lui répondre. En bref, à l’école comme à la maison, parlez et parlez encore, écoutez et écoutez encore, discuter, argumenter, racontez ; et…. regardez un enfant dans les yeux. Apprenez à soutenir son regard qui vous questionne, qui parfois vous jauge et le plus souvent vous supplie de lui assurer qu’il existe et qu’il compte pour vous.

Car à quoi bon se battre pour léguer à ceux qui arrivent une planète « vivable » si leurs esprits, privés de mémoire collective, de langage maîtrisé et du désir de comprendre, sont condamnés à errer dans le silence glacial d’un désert culturel et spirituel ? Soumis au premier mot d’ordre, éblouis par le premier chatoiement, trompés par le moindre mirage. 

Desiderio di sapere (désir de savoir): Federico CESI, fondateur de l’école des lynx (1603)


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