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Respect des règles et liberté de penser

Alain BENTOLILA 30/11/2022

Il y a près de 2500 ans, Platon écrivait dans la République :

Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants,
Lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles,
Lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter,
Lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne,
Alors c’est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie.

L’école française est-elle un lieu ou règnent la peur et la frustration contrairement à d’autres systèmes où l’école serait un lieu de joie et de bonheur sans nuages ? Aujourd’hui, toute exigence, toute évaluation quantifiée sont devenues synonymes d’une intolérable stigmatisation des plus faibles et des plus fragiles. Reviennent ainsi en force ceux qui confondent avec complaisance « règles sociales » et « contraintes », « conventions arbitraires » et « abus ». De même que certains peuvent se sentir frustrés de ne pouvoir emprunter telle ou telle rue ou de ne pas pouvoir fumer en paix dans le wagon d’un train, de même le fait de devoir mettre un « S » au pluriel ou celui de se lever lorsque le maître entre dans la classe engendrent une insupportable frustration chez certains de nos « malheureux » élèves. Beaucoup ignorent en effet que la règle d’accord en nombre n’est pas une contrainte abusive et que bien au contraire, elle donne la possibilité d’exprimer sa pensée au plus juste de ses intentions. Beaucoup prennent la convention qui invite à se lever à l’entrée du maître pour un acte de soumission insupportable alors qu’elle signifie qu’on reconnaît tout simplement le statut de l’enseignant et qu’on assume le sien.

De la même façon certains de nos enseignants en sont venus à confondre la notion de convention arbitraire et celle d’abus de pouvoir. On a oublié -et la situation actuelle nous le rappelle cruellement – qu’un dictateur est quelqu’un qui impose à un peuple des abus qui tous sont à son propre avantage ou à celui des oligarques qui confortent son pouvoir ; alors que, si toutes les langues sont fondées sur le principe de l’arbitraire du signe, ce n’est pas pour contraindre cruellement ses utilisateurs mais au contraire pour les rassembler. Loin d’être tyranniques, les conventions arbitraires partagées par tous libèrent nos esprits et assurent un juste partage de nos pensées. Sans la force arbitraire de la grammaire, comment eût fait Eluard pour nous imposer l’image magnifique d’une terre bleue comme une orange ? Comment eut fait Galilée pour imposer l’idée que c’était bien la terre qui tournait autour du soleil et non le contraire ? Les règles arbitraires libèrent les Hommes des chaînes de l’évidence ; elles font des Hommes des créateurs et non des créatures.

Ces regrettables confusions ont ainsi nourri les petites lâchetés dans lesquelles s’est complu l’éducation au cours des quarante dernières années ; lâchetés qui ont détourné bien des élèves du respect des règles sociales et linguistiques et ont sapé l’autorité du maître d’école. Pour des raisons essentiellement idéologiques, les instituts de formation des maîtres ont tenté de mettre dans la tête des enseignants que toute convention, pour être respectable, devait pouvoir être « justifiée »et motivée. Les règles arbitraires, n’autorisant, par leur nature même, aucune hypothèse, aucune supputation, ont donc été dénoncées comme abêtissantes tout juste bonnes à rendre plus cruelle encore la sélection perverse dans laquelle se complairait l’école. Puisqu’un élève ne pouvait « découvrir » pourquoi on doit mettre un « s » ou un « x » à la fin d’un mot pour indiquer le pluriel, ou encore pourquoi on écrit « reine et non « rène », alors il devenait inopportun, voire cruel, d’obliger un élève » à observer ces règles de grammaire et d’orthographe. Puisque l’on ne pouvait expliquer la relation entre le fait de se lever et le témoignage de respect dû au maître, pourquoi ne pas alors choisir d’agiter sa casquette ou de brandir son majeur ? Ainsi est venu le temps on a décidé de dispenser l’élève « constructeur de savoirs » des règles de l’orthographe, de la grammaire et des conventions de civilité : car les conventions arbitraires ne se construisent pas elles se respectent.

Eduquer, dès l’école maternelle, un enfant à son métier d’élève, ce n’est certainement pas l’inviter à s’en remettre à son propre instinct en espérant qu’il tombe de temps en temps sur le juste comportement intellectuel ou social. C’est, au contraire, lui donner les codes et des règles en lui faisant accepter qu’ils sont arbitraires mais nécessaires. Et ces règles ne s’inventent pas; elles sont les instruments de notre pensée et nous permettent de vivre ensemble. Une fois acquises et automatisées, elles permettent à un élève de faire donner à plein son intelligence, de l’ouvrir à la pensée d’un autre, de libérer son imagination et son esprit critique face des situations qu’il a alors les moyens de dominer. Le « temps de l’apprenti » n’est pas un temps volé au plaisir de la découverte, ce n’est pas un temps où l’on bride une jeune intelligence par des contraintes autoritaires ; c’est, au contraire, le temps qu’on offre à un élève pour qu’il acquière progressivement des repères solides, des automatismes rodés, des comportements pertinents afin qu’il puisse ensuite oser avec bonheur une vie sociale et intellectuelle audacieuse, mais respectueuse des autres.


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