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Pourquoi tant d’enfants ne savent pas lire

Alain BENTOLILA, 30/11/2022

Des polémiques méthodologiques sans fondement scientifiques, attisées par des prises de positions idéologiques, ont condamné l’apprentissage de la lecture à une cinquantaine d’années d’errance en matière de choix pédagogiques et de contenus de formation. Deux groupes se sont ainsi longuement affrontés – et s’affrontent encore – mélangeant, jusqu’à la caricature, pédagogie et idéologie, et oubliant, l’un comme l’autre, l’intérêt des enfant les plus fragiles. Ils s’accusent réciproquement, encore aujourd’hui, d’être les « fossoyeurs de l’éducation » ; ils préfèrent les slogans, les mots d’ordre et les anathèmes à la rigueur méthodologique et au suivi lucide de chaque élève. D’un côté, se trouvent ceux qui, uniquement préoccupés d’assurer un déchiffrage automatisé des mots, oublient que la compréhension des mots, des phrases et des textes ne découlera pas « naturellement » de cette seule habileté. Ils négligent donc le fait que la construction du sens doit faire l’objet d’un apprentissage explicite. De l’autre côté, il y a ceux qui, trop naïvement séduits par le chatoiement des textes, oublient que l’entraînement au maniement des mécanismes du code et la reconnaissance précise des mots peuvent seuls assurer la précision de la lecture. Dans cette « guérilla méthodologique », chacun brandit son écusson : méthode strictement syllabique pour les uns ; albums de jeunesse illustrés pour les autres. Ne vous laissez pas enrôler dans ces camps qui n’ont ni l’un ni l’autre le soucis de la capacité des enfants à construire leur propre sens à partir des mots d’un autre. le seul engagement que nous devons prendre en matière d’apprentissage de la lecture est le suivant: « Nous refusons que l’insécurité de lecture et l’impuissance d’écriture de nos enfants soit programmées dès 6 ans. Nous veillerons donc à lui donner un langage oral riche et précis, une solide habileté de décodage et une juste capacité de compréhension.

A six ans, un enfant « bien élevé » devrait posséder en moyenne dans sa tête un répertoire de quelque 2000 mots oraux. qui lui permet, lorsqu’on lui parle, de reconnaître le « bruit singulier d’un mot » et d’en comprendre le sens. C’est ce même petit dictionnaire qu’il devra consulter une fois que son enseignante lui aura appris à déchiffrer les mots, c’est-à-dire à traduire en sons ce qu’il aura découvert en lettres. Identification de la composition graphique d’un mot, construction de la combinaison phonique qui lui correspond et requête envoyée au répertoire des mots déjà connus, tels sont les trois temps qui « animent » la démarche d’apprentissage de la lecture. L’effort de déchiffrage d’un mot devrait ainsi trouver sa juste récompense dans la découverte de son sens. Du moins pourrait-on l’espérer…

Mais un enfant ne peut apprendre efficacement à lire et à écrire dans une langue qu’il maîtrise mal ou pas dans son vocabulaire, et dans sa grammaire. Cet enfant aura fort en effet peu de chance de parvenir à maîtriser la langue écrite tout simplement parce qu’il ne maîtrisera pas suffisamment le langage oral qui lui correspond. Le couloir de l’illettrisme s’ouvre donc dès six ans devant ceux qui, dans nos écoles, n’ont, à l’entrée au CP, que quatre cents mots pour dire le monde. Car, ne l’oublions pas, apprendre à lire ce n’est pas apprendre une langue nouvelle, mais retrouver, sous une autre forme, une langue que l’on pratique déjà. Être confronté à des mots écrits dont le déchiffrage ne correspond souvent à rien dans son intelligence est en effet pour un élève la promesse de ne jamais réussir son apprentissage de la lecture. Si la plupart des enfants qui comprennent les phrases et les textes écrits sont aussi de bon déchiffreurs l’inverse n’est pas automatique. Bon nombre de déchiffreurs habiles ne comprennent pas ce qu’ils lisent et restent au stade d’une oralisation privée de sens. L’habileté de déchiffrage ne peut en effet porter ses fruits que si et seulement si l’enfant possède à l’oral un vocabulaire précis et riche et une organisation des phrases cohérente. L’insécurité linguistique à l’oral est la promesse d’une impuissance le lecture et d’écriture. Car à quoi sert une capacité de déchiffrage, laborieusement acquise, si le bruit du mot ainsi fabriqué à grands frais n’active aucune image mentale dans le cerveau d’un enfant qui ne possède pas suffisamment de vocabulaire? À rien, bien sûr. À rien !

Si l’on veut lutter efficacement contre l’illettrisme programmé de certains élèves il y a deux conditions : d’une part assurer à tous les élèves, avant qu’ils apprennent à lire, une conscience phonologique, une habileté syntaxique et un vocabulaire suffisant au sein d’une école maternelle prioritairement vouée à assurer à tous ses élèves une réelle maîtrise du français oral. Mais d’autre part il faut offrir à tous les élèves une méthode donnant autant d’importance à la maîtrise du code qu’à la conquête du sens des phrases et des textes ; c’est-à-dire une méthode de lecture intégrale.


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