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Maitriser la langue, est-ce vital ?

Ce sont nos histoires et c’est à nous de les raconter. (Aimé Césaire)

Le 7 juin 1994, quelques semaines avant la fin du génocide des Tutsis au Rwanda, Beata Umubyeyi Mairesse, alors adolescente de 15 ans, se cache avec sa mère, dans la cave d’un hôtel abandonné.

Autour d’elle, on tue sans discontinuer, elles sont cachées dans une cave où il faut être silencieux pour ne pas être découvert. Au loin, elles entendent parfois des cris.

Ce jour de juin 1994, des tueurs envahissent l’hôtel dans lequel elles sont cachées, débordant de bruit et de haine, ils pénètrent dans la cachette et quand ils découvrent Beata et sa mère immobiles et muettes de terreur, ces tueurs demeurent interloqués. Pourquoi ? Parce que Beata est métisse ; eux se disent à ce moment-là « Il y a une blanche face à nous. » Beata se met à leur parler français et leur dit qu’elle est française, et elle leur fait croire que son père est français, ce qui n’est pas le cas puisqu’il est polonais, et puis elle invente une histoire parce que qu’elle sait que pour eux, la France, c’est un pays ami, que le gouvernement français est considéré comme un allié, et elle leur dit « je suis de votre côté, vous ne pouvez pas me tuer. »

Dans l’horreur de ce massacre génocidaire, le français lui permet de traverser symboliquement et concrètement les frontières, cette langue lui sert de bouclier pour éloigner les tueurs.

C’est à l’école que Beata a appris le français.

Une autre jeune femme, imaginaire sans doute, doit, elle aussi, d’avoir été sauvée grâce à sa capacité à raconter des histoires. Shéhérazade réussit à sortir des ténèbres et repousse une mort certaine par la force de sa langue. Nous devons faire connaitre à nos élèves ces destins en accéléré, par le conte ou par l’Histoire, afin qu’ils sachent bien que la réponse à la question initiale est définitivement affirmative.

Paul Benaych 3 février 2024

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