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Alain BENTOLILA, 05/04/2024

Jour après jour, nous nous lamentons, nous nous indignons devant les agressions et les massacres perpétrés par des enfants sur d’autres enfants. Force est de constater l’incurie d’une institution scolaire trop soucieuse encore de ne pas faire de vagues, l’inutilité des contrôles à l’entrée des établissements et la faiblesse de la réponse judiciaire. Notre seul espoir est rendre nos enfants résistants à la tentation de l’ivresse barbare en les nourrissant de mots et de culture. « Cultivons les esprits de nos enfants comme on cultive un champ pour nourrir les siens ! »

Mensonges et manipulations médiatiques, enfermement et aveuglement idéologiques, complaisances et lâchetés éducatives, ont abîmé notre intelligence collective jour après jour. Sommes-nous pour autant victimes -comme le voudrait Éric ZEMOUR- d’un complot ourdi par des forces obscures et barbares venues d’ailleurs, décidées à saper les fondements de notre civilisation et de notre culture ? Non ! Non ! Rien de tout cela ! Ne cherchons pas ailleurs qu’en nous même les responsables de la décadence intellectuelle et spirituelle actuelle. Nous avons oublié que, si nous devons résister à la passivité et à la bêtise, c’est certes pour nous-mêmes mais c’est surtout pour ceux qui nous survivront. Et c’est donc bien notre terreur de regarder plus loin que nous (peur de regarder la mort en face) qui nous a rendus si négligents. Nous sommes tous coupables d’avoir oublié notre premier devoir : transmettre à nos enfants ce « désir d’apprendre », cet amour du raisonnement rigoureux et de la réfutation exigeante, ce goût pour une langue juste et précise capable d’expliquer plutôt que de menacer et parfois de tuer. Et leur permettre ainsi de construire un monde un peu meilleur que celui qu’on leur aura laisser.

Aujourd’hui, nos enfants, après plus de dix années de scolarité, ont à affronter un monde face auquel l’impuissance linguistique et la vulnérabilité intellectuelle se révèlent souvent fatales. Un monde où des discours et des textes de nature totalitaire et sectaire, portés par des réseaux sociaux corrompus, risquent de s’imposer à des esprits faibles et crédules. Ils avaleront donc avec délectation ce qui relève de l’amalgame, de l’illogisme et de la haine imbécile. Ils se laisserons berner par des démonstrations marquées au coin du contre sens ; se laisseront convaincre par des arguments de pacotille et se laisseront avoir par des discours sectaires et intégristes qui prétendront leur apporter des réponses simples, immédiates et définitives. En bref, Ils seront passivement séduits par tous les stéréotypes qui offrent du monde une vision dichotomique et manichéenne et se soumettront docilement aux règles les plus rigides et les plus arbitraires pourvu qu’elles leur donnent l’illusion de transcender leurs insupportables frustrations quotidiennes. L’école, depuis trop longtemps en friche, et la famille, souvent sans repères, auront alors perdu la bataille contre l’abêtissement. Ce que nous aurons offert en sacrifice, sur l’autel du web, à de dangereux manipulateurs, ce sont les mots imprécis, les mémoires vides et le dégoût de soi d’une partie de notre jeunesse.

Et, pourtant, ils sont nombreux aujourd’hui ces pédagogues égarés, ces linguistes atterrés et autres idéologues irresponsables qui, surfant sur l’air du temps, prétendent que l’erreur de parole, d’écriture ou de raisonnement, et parfois même les pires contre-vérités, ne sont pas les signaux d’une insuffisance qu’il faut surpasser mais les marques d’une diversité qu’il convient de … respecter. Ils n’ont, pour les enfants « mal-nés » aucune ambition, remplacée par une compassion mielleuse, cachant mal leur mépris. Ils ont remplacé le paradigme de l’incompétence (« Tu lis mal ! Tu as du mal à exprimer ta pensée… »)par celui de l’incompatibilité (« lire, s’exprimer ce n’est pas pour toi !»). Ces bons apôtres n’hésitent pas à dénoncer la désuétude et le normativisme borné de l’Ecole de la République qui prendrait un plaisir pervers à dresser des pièges orthographiques ou grammaticaux sous les pas des élèves défavorisés. A tous ces bien-pensants, dont les propres enfants risquent moins l’échec, et dont l’unique souci est d’échapper à tout procès en stigmatisation, je dis que leur coupable complaisance nuit toujours aux élèves les plus fragiles.

Il est temps de reprendre nos esprits ! Car, à quoi donc servirait-il de se battre pour léguer à ceux qui arrivent une planète « vivable » si leurs esprits privés de mémoire collective, de langage maîtrisé et du désir de comprendre étaient condamné à errer dans le silence glacial d’un désert culturel et spirituel ? Ils y seraient soumis au premier mot d’ordre, éblouis par le premier chatoiement, trompés par le moindre mirage. Face l’ivresse des jeux barbares, face à la tentation « délicieuse » d’un repliement communautaire, que certains irresponsables osent qualifier de « positif », nous devons répondre par une alliance ferme et lucide entre enseignants et parents chacun porté par la volonté de refonder le métier d’élève et le statut d’enfant : un enfant, on l’écoute avec attention, mais il nous écoute avec respect ; un élève a le droit de questionner mais il a le devoir d’apprendre. Parents et enseignants placeront donc au cœur même de leur combat le respect d’un juste équilibre entre droits et devoirs intellectuels : droit d’exprimer librement sa pensée, mais obligation de la soumettre à une critique sans complaisance ; droit de faire valoir ses convictions, mais interdiction de manipuler le plus vulnérable ; droit d’affirmer ce que l’on croit vrai, mais devoir d’en rechercher obstinément la pertinence ; droit de questionner ce que l’on apprend, mais devoir de reconnaître la légitimité du maître ; droit enfin et surtout d’interpréter et de critiquer les textes profanes ou sacrés, mais devoir d’en respecter les conventions linguistiques qui font sa singularité. C’est seulement en plaçant l’exigence éthique au cœur de l’éducation que nous éviterons que les mots des textes ne s’égrènent pour n’être plus que des mots de passe ou des mots d’ordre. C’est ainsi que nous détournerons nos enfants de ces lieux obscurs, usurpant le nom d’école, dans lesquels se confondent langage et incantation, lecture et récitation, là où la quête du sens est considérée comme dangereuse, profanatrice et impie. Le combat risque d’être long, dites-vous ? Sachez que les luttes essentielles sont celles dont ni vous ni moi ne verrons la dernière bataille.


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