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Contre la barbarie de nos enfants, une alliance école-famille

Alain Bentolila – 02/07/2023

La ghettoïsation sociale a engendré une insécurité linguistique et une anomie culturelle qui fomente une violence précoce qu’une école enclavée et des familles dépassées, se révèlent incapables de briser. Soyons clair ! Il est hors de question de laisser entendre que certains enfants n’auraient pas les moyens intellectuels de se doter d’une langue puissante et efficace et d’avoir accès à une culture universelle. Tout ce que nous savons sur les langues et les populations qui les parlent ne laisse planer aucun doute sur le fait que tout être humain quel que soit sa race, son ethnie, et sa culture possède le même potentiel d’apprentissage linguistique et de partage culturel. Mais encore faut –il que la cellule familiale, les stimuli interrelationnels et les ambitions qu’on lui propose poussent un enfant à donner leur chance aux mots plutôt qu’à se battre. En bref, si certains adolescents n’ont pas les mots pour dire le monde et laisser ainsi une trace pacifique d’eux-mêmes sur l’intelligence d’un autre, c’est parce qu’ils sont soumis – au sein de leur école et au sein de leur famille- à une telle stérilité culturelle, à une telle aridité linguistique, et confrontés à un horizon d’engagement tellement rétréci que l’idée même de la conceptualisation et de l’argumentation se trouve exclue.

Flambées de violence, après flambée de violence, on n’en finit pas de se désespérer devant ces villes de plus en plus souvent ravagés par des émeutiers de plus en plus jeunes. Les écoles enclavées y sont peu à peu devenus des camps retranchés où des enseignants sans beaucoup d’expérience, très vite à bout de souffle, tentent désespérément d’attirer des élèves rebelles à tout apprentissage tout en essayant d’empêcher d’autres jeunes d’entrer pour commettre des actes de vandalisme et de violence. Quant aux parents, ils sont absents, et muets. Ecoles sanctuarisées, nous dit- on… ? Non ! Disons plutôt écoles barricadées, emmurées, encerclées par des populations désabusées et des forces de plus en plus hostiles. Enclaves institutionnelles à peine tolérées sur un territoire où l’on a perdu le goût d’apprendre et le devoir de transmettre ! Ces écoles, fruits du cynisme et de la lâcheté de générations de responsables politiques, ont besoin aujourd’hui d’une véritable métamorphose. Nous ne sortirons pas de cet engrenage épouvantable en érigeant des murailles. Car nous ne ferions que couper définitivement l’école de ses partenaires naturels qui, dans cette situation d’extrême difficulté, sont les seuls à pouvoir la soutenir. La seule façon de sortir ces établissements du ghetto dans lequel on les a enfermés depuis des dizaines d’années est de transformer dans ses fondements mêmes le projet éducatif dans les zones dites sensibles. Attention ! Il ne s’agit pas de réduire les ambitions d’apprentissage en les « ratiboisant » pour les adapter à ces élèves ghettoïsés. Bien au contraire ! L’équipe éducative, dont on devra veiller à la formation et à la stabilité, ne devra rien céder sur la qualité des textes et la rigueur des démonstrations ; elle ne devra en rien négliger la précision des mots et la rigueur des règles syntaxiques ; elle ne baissera aucunement ses exigences en matière de comportements et fera respecter strictement les règles de la civilité. Dans ces écoles revisitées, on devra donc appliquer les programmes et les règles de l’Ecole publique avec la plus grande fermeté, mais, en même temps, elles seront des lieux de culture et de formation ouverts à tous. Des lieux dans lequel les familles seront des partenaires à part entière de l’éducation de leurs enfants. Ici plus qu’ailleurs, l’Ecole devra devenir celle d’une communauté réunie autour d’un projet éducatif assumé par tous. Dans cette école ouverte aux familles, les enseignants devront apprendre à partager le pouvoir de parole au sein de véritables conseils d’établissement, responsables de sa gestion et de son animation ; les familles devront avoir le droit de s’exprimer sur tous les sujets, même si, sur les choix des démarches et des contenus pédagogiques, la dernière parole reviendra strictement aux enseignants. Partie prenante de l’éducation de leurs enfants, meilleurs alliés des enseignants, les parents retrouveront ainsi une dignité que ni leurs enfants ni l’école ne leur reconnaît aujourd’hui dans ces quartiers. L’Ecole deviendra leur école, celle où ils trouveront eux-mêmes après la fin des cours les moyens de progresser, d’apprendre à lire et à écrire, de gouter à la culture commune. Fièrement installée au milieu de la cité, c’est donc à l’école et aux parents que l’on confiera la mission de renouer les liens sociaux, culturels et… économiques, et non à des associations dont on évalue trop rarement l’efficacité et qui parfois encouragent le séparatisme. Vitrine de notre patrimoine littéraire, scientifique et artistique, lieu d’exigence intellectuelle et linguistique, l’école sera aussi un espace où pourront s’exprimer les cultures familiales. Ces cultures différentes ouvriront ainsi à tous des horizons de découverte, contribueront à développer le respect de l’Autre et surtout feront aimer aussi ce qui est singulier. Elles seront d’autant mieux accueillies par l’Ecole de la République qu’elle soulignera leur capacité de porter les valeurs universelles. On y feraainsi gouter aux élèves et aux familles la merveilleuse diversité culturelle et narrative des textes fondateurs d’où qu’ils viennent et on montrera comment ils ont traversé depuis les siècles les civilisations les plus différentes, pour tenter d’apaiser les inquiétudes et les terreurs humaines.

Face l’ivresse des jeux barbares, face à la tentation « délicieuse » d’une violence précoce, que certains irresponsables disent légitime, nous devons répondre par une alliance ferme et lucide entre enseignants et parents chacun porté par la volonté de refonder le métier d’élève et le statut d’enfant : un enfant, on l’écoute avec attention, mais il nous écoute avec respect ; un élève a le droit de questionner mais il a le devoir d’apprendre C’est donc au sein d’une école, ferme sur des convictions républicaines, mais qui osera dire aux familles : « vous êtes ici chez vous ! », c’est au sein d’une école où l’on ne fera pas la leçon aux parents et où ces derniers respecteront les maîtres que les enfants, d’où qu’ils viennent, affirmeront la fierté d’eux-mêmes, tout en acceptant le respect des autres. Cela risque d’être long, dites-vous ? Sachez que les chose dont ni vous ni moi ne verrons la dernière image.


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