– 1ère partie –
Cinq idées fausses sur l’apprentissage de la lecture
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On apprendrait à lire comme on apprend à parler : sans même s’en rendre compte
Lorsque l’on observe un bon lecteur en train de lire, son comportement nous paraît aussi naturel que s’il nageait ou s’il faisait du vélo. D’où la déduction -un peu rapide- qu’il suffit de mettre un enfant en situation de lire un album imagé pour qu’il découvre, d’hypothèses en déductions, les mécanismes du code écrit et qu’il vienne ainsi à la lecture avec autant de plaisir qu’un « bébé nageur ».
Cette illusion est due au fait que, lorsque l’on sait lire, on maîtrise les mécanismes du code avec une telle dextérité que l’on en oublie ce qu’il nous a fallu de labeur pour apprendre à lire. En fait, il faut des situations de lecture particulièrement délicates pour qu’un lecteur expert ait recours de façon consciente et délibérée aux correspondances graphophonologiques jadis apprises. Ce n’est en effet que lorsqu’il est confronté à un mot peu fréquent, à une tournure inusitée ou archaïque qu’un lecteur sera obligé d’interroger syllabe après syllabe la composition du mot et, mot après mot, l’organisation de la phrase. Ce retour aux sources montre bien d’ailleurs que les premiers apprentissages fondamentaux sont utiles et nécessaires, même s’ils doivent céder la place à une lecture silencieuse privilégiant la compréhension.
Cette conception de l’apprentissage de la lecture, sans passer par le déchiffrage, est aussi peu fondée scientifiquement que dangereuse au plan cognitif. Il est important de comprendre qu’une distinction claire existe entre apprendre à lire et savoir lire : le comportement du lecteur expert ne saurait fournir directement un modèle pour l’apprenti. Un bon lecteur gagnera année après année son droit au silence et à la fluidité parce qu’il aura consenti un labeur régulier et courageux afin de dominer les mécanismes du code écrit.
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Apprendre à lire ne serait que plaisir
Dans un monde où la recherche forcenée d’un plaisir vite consommé est devenue un principe de vie ; dans un monde où le droit de « savoir avant d’apprendre » fait quasiment partie du catalogue des avantages acquis, pourquoi donc l’apprentissage de la lecture échapperait à cette tendance majeure ? Paradoxalement, à mesure que l’illettrisme s’est fait plus évident en France, s’est installée l’idée que le plaisir devait être consubstantiel de toute démarche d’apprentissage de la lecture. Cette consubstantialité est abusivement présentée comme la meilleure garantie du succès de l’apprentissage. A l’opposé, l’obscur labeur est souvent dénoncé comme responsable de l’échec scolaire et de la désaffection des élèves.
L’idée d’apprendre sans souffrir exagérément et sans s’ennuyer prodigieusement n’est certes pas sans intérêt ; mais faire du plaisir la condition sine qua non de toute démarche d’apprentissage est au minimum exagérée et parfois dangereuse. On constate en effet que l’affirmation du primat du plaisir a produit au cours de ces trente dernières années des effets extrêmement pervers et a induit des pratiques pédagogiques qui, loin de lutter contre l’échec scolaire, ont eu plutôt tendance à l’aggraver. Un apprentissage réussi est toujours le résultat d’un parcours sur lequel les insuffisances et les erreurs soigneusement analysées auront été le moteur du dépassement. Un parcours au cours duquel on aura évité la complaisance systématique. Un parcours ou l’exigence aura équilibré la bienveillance et ou l’effort aura été motivé et éclairé par la promesse explicite d’un pouvoir plus grand et l’accès à des capacités nouvelles.
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Il suffirait qu’un enfant sache déchiffrer avec précision et rapidité pour qu’il comprenne
Si la plupart des enfants qui comprennent les phrases et les textes écrits sont de bon déchiffreurs l’inverse n’est pas automatique. Bon nombre de déchiffreurs habiles ne comprennent pas ce qu’ils lisent et restent au stade d’une oralisation privée de sens. L’habileté de déchiffrage ne porte ses fruits que si et seulement si l’enfant possède à l’oral un vocabulaire précis et riche et une organisation des phrases cohérente.
Il n’est par conséquent pas question de négliger l’un ou l’autre de deux objectifs complémentaires : hors de question d’en rabattre sur la rigueur de l’entraînement aux combinaisons graphophonologiques ; hors de question non plus de négliger une pédagogie explicite de la compréhension des phrases et des textes . Il paraît donc judicieux que durant les premiers mois de l’apprentissage de la lecture, ces deux objectifs soient clairement distingués afin d’être poursuivis parallèlement et avec autant de soin l’un et l’autre. La pédagogie explicite de la compréhension des phrases et des textes sera portée dans un premier temps par la lecture orale faite par l’adulte, pendant que, sur des mots écrits soigneusement choisis, seront travaillée dans une juste progression la précision du déchiffrage er de la combinatoire. Les jeux sur les mots, les phrases et les textes, accompagnés à la maison, irriguera ainsi le labeur du déchiffrage qui garantira en retour la justesse de la lecture. Cette synergie est au cœur d’un apprentissage intégral de la lecture.
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La compréhension ne s’apprendrait pas, elle serait la conséquence « naturelle » du déchiffrage
Il ne suffit pas d’avoir conduit un élève à la maîtrise d’un déchiffrage précis et fluide pour que la faculté de compréhension des phrases et des textes lui soit donnée comme par enchantement. Apprendre à comprendre doit compléter heureusement l’entraînement au déchiffrage et légitimer ainsi les efforts qui lui ont été demandés. Il faut donc inscrire le désir de comprendre avec justesse et la capacité de se faire comprendre avec précision au centre exact de l’apprentissage et de l’usage de la lecture et de l’écriture . Cela suppose que vos élèves apprennent à équilibrer l’exercice légitime de leur droit d’interprétation avec le respect nécessaire qu‘ils doivent porter au texte et à son auteur. Car telle est, en effet, l’exigence d’une lecture équilibrée : ne jamais renoncer à son droit d’interprétation et de critique d’un texte, sans pour autant trahir les intentions de l’auteur. La juste compréhension dépend de la capacité de l’élève à écarter l’une et l’autre de ces deux tentations : brider sa liberté d’imagination et bafouer les directives de l’auteur. Si le respect que le lecteur doit à un texte se change en servilité craintive, s’il s’interdit toute forme d’interprétation, il renoncera alors à exercer son juste droit d’interprétation et de critique. Mais, à l’opposé, s’il fait d’un texte un tremplin commode pour une interprétation extravagante, il négligera le sens du message de l’auteur et rendra alors ce texte orphelin de son créateur. En d’autres termes, « comprendre cela s’apprend ! »
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Présenter des illustrations pendant la lecture aiderait un enfant à mieux comprendre
Méfiez-vous de l’utilisation intempestive des images au prétexte que cela pourrait faciliter l’apprentissage de la lecture des élèves les plus fragiles. Je pense qu’il est au contraire nécessaire de tenir les images à l’écart lorsque vous les accompagnez sur le chemin de la compréhension des phrases et des textes .
Développer la fonction imageante d’un jeune lecteur exige en effet que l’on diffère le plus possible la présentation d’illustrations afin de laisser agir son imagination singulière. L’exhibition abusive des illustrations risque d’éteindre le projecteur intérieur du lecteur et de le dissuader de mettre en scène son propre film. Il convient en effet de laisser à l’élève le loisir de faire « pousser » ses images singulières en se gardant de lui imposer des illustrations qui « ligoteraient » sa fonction imageante. Lorsque l’on propose à un enfant de lire, c’est d’abord pour qu’un projecteur interne s’allume dans sa tête et qu’il crée ainsi ses propres images à partir des directives d’un auteur.
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