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LA LANGUE FRANCAISE SOUS LE FEU DU WOKISME

Plus d’un jeune français sur cinq, après des années passées dans les murs de l’École de la République, se trouve dans une situation d’insécurité linguistique globale à l’oral comme à l’écrit. Cette insécurité obscurcit durablement son horizon culturel et professionnel. Pour tous ces jeunes gens et jeunes filles, la défaite de la langue c’est aussi la défaite de la pensée.D’ignorance en hypocrisie, de fausse compassion en lâcheté éducative, notre langue commune et notre intelligence collective se sont délitées jour après jour. Et pendant ce temps-là, linguistes atterrés et pédagogues égarés, unis dans un commun renoncement, accusent la langue française de conservatisme et de discrimination.

  • L’erreur linguistique serait une marque de diversité

Nombreux sont ceux qui, portés par « l’air du temps », prétendent aujourd’hui que l’erreur de parole, d’écriture ou de raisonnement n’est pas le signal d’une insuffisance qu’il faut surpasser mais une « marque de diversité » qu’il convient de … respecter. Toute ambition pour les élèves « mal-nés » a été ainsi remplacée par une complaisance mielleuse, cachant mal le mépris dont ils font l’objet. De « bons apôtres » leur conseillent donc de ne pas viser trop haut afin d’éviter une chute inéluctable et douloureuse. Ces mêmes hypocrites en sont venus à dénoncer la désuétude et le conservatisme borné de l’Ecole de la République, installant ainsi l’idée, chez certains élèves et parfois chez certains parents, que les propositions scolaires sont culturellement incompatibles avec leurs appartenances communautaires.  Ces petites lâchetés gagnent aujourd’hui un monde universitaire et scolaire incapable de forcer le destin des élèves fragiles. Elles ont pour résultat le remplacement du paradigme de l’incompétence (« je lis mal ! j’écris encore plus mal ! j’ai du mal à exprimer ma pensée…, mais j’aimerais tant m’améliorer »par celui de l’incompatibilité (« lire, écrire s’exprimer ce n’est pas pour moi, … mieux vaut y renoncer !»).  L’incapacité de comprendre les mots d’un autre, comme la difficulté de mettre en mot sa pensée pour un autre ont pris ainsi une tout autre signification. Ces insuffisances sont devenues l’image de notre « diversité » sociale et sont conséquemment irréductibles.  « Je parle comme je suis », « je comprends ce que je veux », « j’écris comme cela me chante », tels sont aujourd’hui les slogans clamés par ceux dont les propres enfants n’ont que peu de souci à se faire pour leur avenir scolaire et social.  A tous ces bien-pensants, uniquement soucieux d’échapper au procès en stigmatisation, je dis que leur coupable complaisance tue les élèves fragiles.

  • La Langue française ne se serait jamais mieux portée

Des linguistes qui se disent « atterrés » clament, sur l’air de « tout va très bien madame la marquise ! » que la langue française ne s’est jamais si bien portée et qu’elle s’enrichit tous les jours de mots nouveaux plus originaux les uns que les autres. Ils feignent d’ignorer qu’une langue n’est en elle-même ni riche ni pauvre, car une langue n’est rien sans ceux qui la parlent. La langue française n’est pas un « trésor linguistique » libéralement ouvert à tous dans

lequel chacun viendrait puiser, avec un égal bonheur et une égale pertinence, les instruments de sa communication. La richesse de notre langue ne se mesure pas au nombre d’entrées nouvelles dans des dictionnaires qui, chaque année, se disputent la palme de la modernité et du jeunisme en rivalisant d’audace pour intégrer -trop précipitamment- des mots aussi nouveaux qu’éphémères. Notre langue française, ce sont des hommes et des femmes qui entretiennent avec elle des relations de plus en plus inégales. D’un côté, Il y a ceux qui ont eu la chance de vivre un apprentissage au cours duquel ils ont appris à « ajuster » leurs riches moyens linguistiques aux besoins, justement mesurés, des différentes situations de communication. En face, reclus dans leur entre soi, il y a « les autres », qui n’ont pas eu cette chance. Eux n’ont connu que promiscuité, banalité et indifférence ; leur horizon de parole limité a réduit leur vocabulaire et brouillé leur organisation grammaticale. Ce sont les « pauvres du langage », impuissants à défendre leurs points de vue, incapables de dénoncer la manipulation, sans défense contre l’arbitraire et l’injustice. Dans ce contexte d’insupportables inégalités linguistiques, les moins favorisés, qui ont manqué cruellement de modèles (y compris à l’école), ont besoin aujourd’hui d’exigence et non de complaisance.

  • La langue française serait sexiste

Par ignorance et par hypocrisie, certain.e.s féministes de salon ont cru bon de dénoncer les errements d’une langue française dont les structures morphologiques et grammaticales refléteraient, renforceraient et légitimeraient la discrimination dont sont victimes les femmes en France. Ils accusent ainsi les marques de genre – celles qui distinguent les noms masculins des noms féminins («la porte » et « le portail » par exemple) – de manifester, par leur injuste distribution, un inacceptable mépris envers… les femmes. Des règles morphologiques « supporteraient » donc servilement les injustices sexistes et, par leur puissance normative, leur conféreraient une sorte de légitimité académique ; ainsi en est-il du toit qui domine injustement la maison. La réalité est tout autre ! Les marques de genre ont fort peu à voir avec une indication de sexe. Le français possède en fait deux genres morphologiques, l’un est dit masculin, l’autre est dit féminin. Il s’agit bien de marques de genre, permettant de lier entre eux les mots, et non pas d’indicateurs de sexe. En bref, tous les noms sont, en français, distribués en deux ensembles ; l’un qui exige par exemple l’article « la » ou « une » ; l’autre qui impose « le » ou « un » ; l’un qui activera la forme « petite » de l’adjectif, l’autre la forme « petit ». Le sens d’un nom ne permet pas, dans la plupart des cas, de prédire à quel ensemble il appartient. On voit donc combien il est absurde d’engager aujourd’hui une lutte des classes… grammaticales, alors qu’elles sont constituées de façon essentiellement aléatoire. Voir dans une convention morphologique sans aucune signification, un complot machiste, manifeste une totale ignorance des faits linguistiques, mais aussi une coupable hypocrisie. La distribution des noms en deux genres a une vertu essentielle, celle d’accorder les adjectifs et les participes passés avec les noms auxquels ils se rapportent. 

J’ai personnellement une conscience aiguë du caractère inadmissible de la discrimination sexuelle. Je trouve absolument insupportable qu’elle sévisse encore aujourd’hui dans la vie politique, professionnelle ou familiale. Mais choisir le terrain linguistique pour mener cette bataille nécessaire, en mélangeant règle grammaticale et marques de sexe, c’est confondre les luttes sociales et le badinage de salon. Seule une maîtrise plus justement partagée de la langue française pourra permettre à tous les citoyens de notre pays, d’où qu’ils viennent, de ne considérer aucune différence comme infranchissable, aucune divergence comme inexplicable, aucune appartenance comme un ghetto identitaire. Nous devons donc à tous ceux que l’on accueille, d’où qu’ils viennent, le meilleur de notre langue, afin qu’ils puissent être compris au plus juste de leurs intentions et comprendre avec la plus grande vigilance. Ce n’est donc pas dans le foisonnement de particularismes langagiers, qui stigmatisent plus qu’ils ne distinguent, que réside la clé d’une intégration harmonieuse. Tous ceux qui sont accueillis dans ce pays ont droit à une langue commune juste, précise et… créative ; il est de notre devoir de la leur offrir, il est de leur devoir de la chérir.

Alain Bentolila 25 mai 2024

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