APRILL contre la résignation de l’illettrisme
La porte du couloir qui conduit presqu’un adulte sur dix à l’illettrisme s’ouvre très tôt au cours de la scolarité. Un langage oral exsangue, que l’école n’est pas parvenue à réhabiliter, pervertit leur apprentissage de la lecture et les détourne d’une lecture libre et ambitieuse. Lorsqu’ils sortent de ce couloir où ils n’ont appris que la frustration, la rancune et le repliement, ils sont promis à l’impuissance linguistique et sont contraints de renoncer à exercer ce pouvoir propre à l’humain de transformer les autres et le monde par l’exercice pacifique de la langue orale ou écrite. Cette impuissance dépouille les illettrés d’une part de leur humanité.
Principes
Les illettrés du vingtième siècle posaient un problème de déchiffrage maladroit qu’une pédagogie adaptée pouvait corriger ; ceux d’aujourd’hui ont noué avec l’écrit un malentendu infiniment plus grave : un homme, une femme a écrit un texte, il ou elle y a mis ses espoirs de se prolonger par la transmission écrite, eh bien cet appel, par incompétence ou désinvolture, non seulement les « nouveaux illettrés » n’y répondent pas, mais ils ne l’entendent même pas. Ils lisent mal, mais surtout ils ne savent pas ce que lire veut dire, parce que ni l’école ni la famille ne le leur ont appris.
Être illettré aujourd’hui, c’est être vulnérable face à des discours et à des textes dangereux portés par des individus sans scrupules. L’illettrisme accompagne souvent la marginalisation, la vulnérabilité et la violence ; il rétrécit infiniment l’horizon d’espoir. Il est donc urgent d’agir en ne se contentant pas d’offrir un déchiffrage laborieux ou un décodage aride des formulaires administratifs. Nous devons éviter de considérer les citoyens en situation d’illettrisme comme des grands enfants paresseux ou pire encore « attardés ».
Toute méthode qui privilégierait uniquement l’entraînement aux correspondances graphophonologiques, toute démarche qui confondrait compréhension et récitation par cœur, n’ont pas la moindre chance de motiver leur apprentissage et de légitimer leurs efforts. Il est donc hors de question d’imposer un apprentissage de la lecture calqué sur celui que l’on propose aux jeunes enfants. Il faut d’abord faire comprendre « ce que c’est que lire » avant de les engager sur la voie du « comment on apprend à lire ».
APRILL (Alliance pour repousser l’illettrisme) préfère partir de la réalité d’un texte à comprendre puis à discuter, pour mieux mobiliser dans un deuxième temps autour des aptitudes et compétences linguistiques par ailleurs utiles pour devenir lecteur « autonome ». On cherche à donner du sens aux efforts à consentir.
Mise en œuvre
On commencera donc par inviter les apprenants à participer à un atelier de compréhension et de débat dont la démarche se développera autour d’un texte fondateur lu à haute voix par le professeur ou le formateur et dont l’activité de compréhension fera émerger une question touchant à l’universel, alors débattue. Cette activité rassemblera ainsi les personnes en situation d’illettrisme, souvent d’origines différentes, au lieu de les diviser.
C’est sur la base de cette activité collective de compréhension et de débat que seront alors proposés – selon les besoins de chacun – des ateliers qui porteront l’une des quatre compétences essentielles qui conditionnent une maîtrise heureuse de la lecture : la maîtrise des mécanismes de construction des syllabes et des mots, le respect des règles orthographiques, l’organisation des phrases et le développement lexical.
Le site Internet APRILL s’adresse actuellement à deux types de populations : les adultes et jeunes adultes en situation de précarité linguistique accompagnés dans un cadre associatif et les détenus en déshérence linguistique en milieu pénitentiaire.
Le dispositif est en cours d’expérimentation dans des associations, comme Savoir pour réussir, et dans plusieurs UPR, notamment l’Unité Pénitentiaire Régionale de Rennes.
Le site Internet Il décline la démarche complète avec des activités d’atelier de compréhension et de débat et des activités associées autour de la langue.
Bruno Germain – mars 2023
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