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TRUMP : Le résultat d’un abêtissement

Alain BENTOLILA – 24/03/2025

La question que je veux poser dans cet article est la suivante : « Comment un peuple, qui a le rare privilège de posséder les universités aussi exceptionnelles que MIT, Harvard, Stanford, Yale et quelques autres, a bien pu élire à plus de 58% un président inculte et affabulateur et qui ne s’en cache pas ? ».

Aux Etats Unis, alors que quelques universités de renom se disputent les premières places du palmarès mondial des meilleurs établissements, l’Ecole primaire américaine a été abandonnée à une lente déliquescence jusqu’à atteindre un degré de médiocrité qui, dans certains états, est proprement effarant. En 2018 PISA classe globalement les Etats Unis au 38° rang mondial et note uns chute brutale des performances entre 2019 et 2022. Mais ce qui est plus inquiétant encore c’est que les écarts entre les états -et à l’intérieur des états entre les villes et les zones rurales- sont considérables : dans certaines zones rurales, les élèves de quinze ans ne possèdent pas les savoirs fondamentaux que l’on attend d’un élève de début de CE1 en France. La constitution des Etats Unis laisse en effet aux états une indépendance totale dans l’organisation scolaire, le choix des manuels, la formation des enseignants. Ce qui pourrait apparaitre positif en terme d’autonomie et de liberté pédagogique a conduit parfois à négliger totalement la formation des maîtres, à accepter des contre-vérités scientifiques et à refuser aux élèves toute démarche de questionnement exigeant. Trump vient d’ailleurs de supprimer le ministère fédéral de l’éducation qui, grâce à des programmes comme « Head start », avait tenté de corriger les contenus les plus absurdes et les méthodes les plus incohérentes. Une telle décision va évidemment accentuer la dérive de certains établissements scolaires vers un obscurantisme qui finira par mettre en cause leur légitimité.

C’est dans les petites villes et les friches rurales que « l’impuissance linguistique » et « l’aridité intellectuelle » sont le plus préoccupantes. L’école, depuis trop longtemps en friche, et la famille, souvent sans repères universels, y ont perdu la bataille contre l’abêtissement. Ce que l’une et l’autre ont offert en sacrifice au « grand manipulateur », sur l’autel du web, ce sont les mots imprécis, les mémoires vides et la crédulité d’une partie de la population américaine dont elles ont renoncé à cultiver l’intelligence collective. C’est donc en état de faiblesse d’esprit et de langue qu’une partie importante des citoyens des Etats Unis ont dû affronter une propagande brutale face auquel leur impuissance linguistique et leur vulnérabilité intellectuelle ne pouvaient être que fatales. Une propagande contre laquelle ils ne pouvaient opposer aucune résistance aux discours et aux slogans de nature totalitaire et sectaire, portés par des réseaux sociaux frelatés. Ils ont donc avalé donc avec délectation ce qui relevait de l’amalgame, de l’illogisme et de la haine imbécile. Ils se sont laissé berner par des démonstrations marquées au coin du contre sens et ont été convaincus par des arguments de pacotille. Ils se sont laissé avoir par les discours sectaires et radicaux de Trump qui prétendaient leur apporter des réponses simples, immédiates et définitives. Ils se sont laissés séduire par tous ses stéréotypes qui offraient du monde une vision dichotomique et manichéenne et se sont soumis docilement aux règles les plus rigides et les plus arbitraires parce qu’elles leur donnaient l’illusion de transcender le vide culturel et la pauvreté spirituelle auxquels une Ecole abimée les avait conduits. Des années d’abandon éducatif et culturel ont ainsi privé une partie de la population américaine de tout sens critique, de toute volonté d’analyse et de toute profondeur culturelle. 58% d’entre eux ont ainsi élu Donald TRUMP.

Une partie importante des écoles américaines a ainsi renoncé à cultiver auprès de leurs élèves la résistance cognitive qui aurait pu leur permettre de ne pas se laisser aller à leur première impulsion et de ne pas céder aux fausses évidences. Ce mécanisme cérébral a pourtant une véritable utilité sociale puisqu’il permet, aux peuples de s’élever contre les décisions absurdes qui leurs sont imposées. Il leur permet de résister aux croyances erronées portées par des réseaux sociaux pervertis : les mythes du complot par exemple, ou des stéréotypes trop bien ancrés. Aux Etats Unis, pendant que de magnifiques universités donnaient le change, l’intelligence collective a ainsi été volontairement abîmée par la faillite de l’école élémentaire ; les citoyens sont ainsi devenus, en partie du moins, une proie facile face à une propagande sans vergogne. Depuis des dizaines d’années, on s’est gardé de transmettre aux élèves les valeurs universelles qui leur auraient donné le sens de leur humanité. On les a privés du désir et des moyens d’analyser et de questionner qui leur auraient permis de ne pas s’en laissent conter. 0n les a ainsi détournés du goût de l’inattendu, de l’incongru et du singulier pour mieux les soumettre à la pensée dominante. Et ils sont devenus, année après année, des citoyens enlisés dans la connivence, la proximité, le prévisible et la haine de l’Autre. Dans ce pays, après l’élection triomphale de Trump, sonne chaque jour le glas annonçant la mort du verbe et de la pensée et célébrant l’asservissement des esprits ; dans ce pays, qui risque de dériver vers le totalitarisme, on a enterré profondément l’idée même de résistance. Pour une bonne moitié de sa population « confisquée », le questionnement fertile a été remplacé par la docilité servile, les « mots d’esprit » ont fait place aux « mots d’ordre », le spirituel a cédé devant le rituel et finalement la soumission à l’imbécilité brutale est devenue pour certains une forme de vie « acceptable ».

N’oublions pas la leçon ! lorsqu’on laisse se détériorer l’Ecole, on ouvre la porte à toutes les dérives totalitaires et aux pires oligarchies. Les dictateurs ont, en effet le champ libre, dès lors qu’ils ont acquis l’assurance qu’une partie suffisamment importante de leur population n’aura plus les moyens ni le goût de la résistance intellectuelle. La parole du chef devient alors « parole d’évangile » ; elle tombe sur les épaules courbées de citoyens devenus des créatures et non plus des créateurs. Une spiritualité pervertie peut alors devenir le meilleur allié de l’asservissement social et politique.

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