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SIMPLIFIER L’ORTHOGRAPHE POUR PLUS DE JUSTICE SCOLAIRE : LA GRANDE SUPERCHERIE

Alain BENTOLILA 13/11/2024

Sous l’égide du Conseil Scientifique de l’Education Nationale (CSEN) est sorti en juin dernier sous la plume des linguistes « atterrés » Anne LABEILLE et Bernard CERQUIGLINI et de Madame SPRENGER CHAROLLE, membre du CSEN, un rapport qui prescrit sans ambigüité la simplification drastique de l’orthographe du français. Deux objectifs essentiels prétendent fonder leurs préconisations :

  • Partant de l’idée –infiniment réductrice-  selon laquelle l’apprentissage de la lecture se réduirait à savoir automatiser les relations phonèmes/graphèmes, il faudrait rendre l’écriture du français la plus « transparente » possible afin de former sans trop d’efforts des cohortes de « déchiffreurs ». 
  • Afin de ne pas mettre en difficulté les élèves fragiles (ceux notamment présentant une « exogénéïté » linguistique et culturelle), il faudrait simplifier l’orthographe et notamment les règles grammaticales telle que la loi « scélérate » de l’accord du participe passé avec le COD antéposé.
  • Ce rapport ignore que la simplification de l’orthographe impacterait différemment la lecture et l’écriture

Tous ceux qui n’ont que le mot « simplification » à la bouche devraient comprendre que la simplification de l’orthographe française aurait un impact totalement différent sur la lecture et sur l’écriture. Si l’on simplifiait l’orthographe d’usage en rendant plus transparentes les relations entre sons et lettres, on faciliterait sans nul doute l’écriture des mots. Une langue dans laquelle un son correspond à une lettre et une seule, ne laisse en effet planer aucun doute sur la forme écrite d’un mot, sauf à avoir des troubles de l’audition. En revanche, cette même langue complique singulièrement la tâche de ses lecteurs, puisque la « simplicité » des formes orthographiques entraîne ipso facto une moins bonne discrimination de la « physionomie » des mots et rend plus difficile leur reconnaissance rapide. Pour le dire autrement, la simplification de l’orthographe du français servirait l’écriture, mais desservirait la lecture. On ne peut, en effet, gagner sur les deux tableaux et c’est pour cela qu’il faut se garder d’intervenir de façon intempestive. Si la complexité orthographique rend l’écriture délicate (un P ou deux P ; EN ou AN ; ç ou ss…), elle facilite et fluidifie considérablement la lecture des mots. En bref, si les « fantaisies » orthographique de notre langue rendent l’écriture difficile, elle constitue un tremplin formidable pour atteindre une lecture silencieuse et rapide. Ces « parures » orthographiques sont autant d’indices supplémentaires de distinction. La découverte que certaines lettres ne se prononcent pas ou que le même son peut s’écrire différemment amènera progressivement le jeune lecteur à privilégier la composition orthographique d’un mot et à ne plus s’appuyer uniquement sur une oralisation systématique. La maîtrise du principe orthographique complétera heureusement celle du principe alphabétique, construisant un lecteur à la fois précis et… silencieux.

  • Non content de simplifier l’orthographe des mots, le rapport prétend modifier les règles d’accord

Respecter l’orthographe, ce n’est pas simplement savoir choisir entre un seul « P » et deux « PP », entre « AN et « EN » ou entre « PH » et « F ». C’est aussi être capable d’accorder un verbe avec son sujet, un adjectif avec le nom auquel il se rapporte, un participe passé en fonction de l’auxiliaire utilisé. Si l’on doit accorder soin et attention à la façon d’écrire les mots (orthographe lexicale ou d’usage), il faut être encore plus exigeant sur ce qui les relie dans la phrase (orthographe grammaticale) ; car il s’agit là de la mise en mots de notre pensée à l’intention de l’Autre, de la logique de nos propositions offertes à un lecteur. Ce qui m’inquiète le plus dans ce rapport, c’est que derrière une apparente sagesse qui dit limiter ses ambitions à quelques points de l’orthographe d’usage, se profile un danger majeur : celui d’une modification, voire d’une suppression des règles de l’orthographe grammaticale. Or, autant on peut juger utile de corriger certaines incohérences d’orthographe d’usage (« honneur », mais « honorable »), héritées des erreurs de quelques clercs égarés, autant il faut refuser que soient supprimées les règles des accords nominaux et verbaux, car cela touche à la logique de la pensée de celui qui écrit. Ainsi, considérez avec l’attention qu’elle mérite les phrases suivantes : « La mort de l’homme que j’ai toujours désiré(e) », dans laquelle un accord subtil distingue la déclaration d’amour posthume de la malédiction ; ou encore : « L’amour d’une mère que je n’ai jamais connu(e) » qui permet de distinguer l’orphelin du mal-aimé.

  • Ratiboiser les ambitions de certains élèves serait une forme de justice scolaire

Ceux-là mêmes dont les propres enfants n’auront aucun souci scolaire, sont aujourd’hui les premiers à dénoncer l’élitisme et… le caractère « cruel » de l’Ecole de la République. Ils tentent d’installer chez les élèves en difficulté et parfois chez leurs parents l’idée que les exigences scolaires (règles d’orthographe et de grammaire) sont incompatibles avec leurs capacités -voire leurs appartenances- linguistiques et culturelles.  Ces petites lâchetés ont pour résultat le remplacement du paradigme de l’incompétence (« il ou elle a du mal à mettre en mots sa pensée…mais il ou elle peut s’améliorer…) »)par celui de l’incompatibilité (« expliquer, argumenter ce n’est pas pour elle ou lui !»).  L’incapacité de questionner les mots d’un autre, comme la difficulté de se faire comprendre au plus juste de ses intentions ont pris ainsi une tout autre signification ; ces insuffisances sont devenues, durant ces dernières années, l’image sublimée de la « diversité » linguistique et sociale et ont été conséquemment déclarées irréductibles. « Le français écrit ne t’est pas familier, écris donc comme tu veux ou… comme tu peux ! » 

Pour tous les élèves de ce pays, c’est bien l’espoir d’un pouvoir accru sur le monde qui légitimera les efforts qu’ils consentiront pour maîtriser lecture et écriture. Ce pouvoir, ils ne le conquerront pas avec une orthographe ratiboisée. Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, ce n’est pas à la fragilité linguistique de définir la limitation des ambitions cognitives d’un élève, c’est au contraire la hauteur des ambitions cognitives qu’on lui offre qui l’incitera à se battre pour une meilleure maîtrise linguistique et une culture plus approfondie et libératrice.

  • L’orthographe c’est l’histoire des mots

Comment ne pas souligner l’importance de notre orthographe dans la révélation de l’histoire des mots et de leur lignée d’appartenance ? Le mot « aujourd’hui » qui, selon certains, devrait passer sans autre forme de procès à la machine à simplifier dit cependant bien ce qu’il veut dire : » au jour d’hui ». Cette orthographe devrait, si elle était examinée avec l’attention qu’elle mérite, dissuader bien de nos animateurs radio et télé de commettre l’irritante redondance au jour d’aujourd’hui.

 En nous rappelant ce que nous devons notamment au grec, l’orthographe du français rassemble les mots de même famille sémantique et marque par des traits orthographiques communs les étymons qui guident nos pas dans la découverte des champs lexicaux. Prenons quelques exemples, entre mille autres, qui témoignent et ordonnent des pans entiers du lexique de notre langue. Imaginez « graph » sans son « ph » qui nous dissuade de le rapprocher de « agrafe », « philo » qui ressemblerait à une pâtisserie grecque et « cyn- « perdant son « y » qui –oubliant la chasse- nous conduirait dans une salle obscure. Faudrait-il, au nom d’une simplification dont l’urgence ne nous paraît pas évidente et les avantages contestables, sacrifier notre héritage ? Faudrait-il priver les enfants de ces repères qui organisent la diversité du lexique et rendent les promenades au pays des mots à la fois rassurantes et surprenantes ? Les traces étymologiques adoucissent, le temps d’une découverte, l’indispensable, mais parfois inquiétant, arbitraire du signe. Elles révèlent la continuité et la cohérence de notre vocabulaire commun et nous rappellent qu’il est le résultat d’une évolution sans rupture.


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