Categories:

Jean-Luc Mélenchon a autant de mépris pour la langue française que pour les langues créoles

Alain BENTOLILA – 26/06/2025

S’il est un concept que Jean-Luc Mélenchon déteste pardessus tout c’est celui d’assimilation et d’intégration. Que des citoyens parlent ensemble, pensent ensemble, analysent ensemble dans une totale liberté de point de vue, dans une singularité de convictions lui est parfaitement insupportable.  Qu’ils se contentent donc de marcher ensemble en beuglant des slogans ! qu’ils écoutent, béats, leur chef débiter des discours interminables ponctués de quelques imparfaits du subjonctif qui marquent bien sa haute maîtrise de la langue qu’il honnit !   Mais surtout qu’ils ne se mêlent pas de penser par eux-mêmes, qu’ils ne se mêlent pas de mettre en mots une pensée originale.  Comme tous les populistes autocrates, Jean-Luc Mélenchon veut que ses affidés marquent leur « insoumission » non pas en parlant et en pensant par eux même mais en s’inclinant devant une langue à laquelle il n’ont pas accès et en reproduisant une pensée qui leur est imposée.

Certes la langue française est constituée d’apports différents ; comme toutes les langues elle a absorbé et harmonieusement intégré des mots de diverses origines mais -et c’est cela qui importe- elle n’a jamais perdu son intégrité , sa cohérence et son pouvoir de porter la pensée de ceux qui la parlent et la chérissent ; elle à su ainsi au cours de  son développement assurer l’autonomie de pensée de chacun. La langue française n’est pas un agglomérat de mots et structures diverses ; elle accepte des différences, cultive des originalités mais prend un soin jaloux à ne jamais laisser ses singularités mettre en péril sa mission de rassemblement. Faire de la langue française une langue créole témoigne une ignorance crasse de ce que sont les créoles1 mais c’est aussi refuser de considérer l’histoire de notre langue, longuement forgée par son peuple et portée par la volonté d’assurer la cohérence nationale . La langue française s’est vouée de tous temps à la résistance aux mensonges et aux manipulations de tous ceux qui comme Jean-Luc Mélenchon pensent pouvoir penser pour et à la place du peuple. Car à la faiblesse d’un langage dispersé, correspond une pensée affaiblie prompte à s’enrôler derrière n’importe quel beau parleur

Plus d’un jeune français sur dix, après une dizaine d’années passées dans les murs de l’École de la République, se trouve dans une situation d’insécurité linguistique globale à l’oral comme à l’écrit. Cette insécurité obscurcira durablement son horizon culturel et professionnel. Pour tous ces jeunes gens et jeunes filles, la défaite de la langue c’est aussi la défaite de la pensée. Et pourtant, s’il faut en croire Jean-Luc Mélenchon, adoubé par quelques linguistes atterrés, unis dans un commun renoncement, tout va très bien, madame la Marquise, tout va très bien ! Tout va très bien ! La langue française ne se serait jamais mieux portée, tous les jours un peu plus riche, tous les jours un peu plus diverse, tous les jours plus fleurie. Les écarts à la norme n’existeraient pas, ils seraient les marques bienvenues d’une diversité identitaire ; l’illettrisme ne serait qu’une illusion portée par ceux qui veulent stigmatiser les plus fragiles ; et enfin, la langue française, par son conservatisme étroit, serait cruelle pour les plus fragiles et aujourd’hui injuste envers les femmes. Ils feignent d’ignorer qu’une langue n’est en elle-même ni riche ni pauvre ; la force d’une langue se mesure au pouvoir d’argumentation et d’analyse qu’elle donne à chaque citoyen. La richesse de notre langue ne se juge pas au nombre d’entrées nouvelles dans des dictionnaires qui, chaque année, se disputent la palme de la modernité et du jeunisme en rivalisant d’audace pour intégrer -trop précipitamment- des mots aussi nouveaux qu’éphémères. Notre langue française, ce sont des hommes et des femmes qui entretiennent avec elle des relations de plus en plus inégales. Ceux qui n’ont connu que promiscuité, banalité et indifférence pendant leur apprentissage, voient leur horizon de parole limité, leur vocabulaire réduit et leur organisation grammaticale brouillée. Ce sont les « pauvres du langage », impuissants à défendre leurs points de vue, incapables de dénoncer la manipulation, sans défense contre l’arbitraire et l’injustice. Au lieu de s’émerveiller devant une diversité qui cache fort mal des inégalités criantes, Jean-Luc Mélenchon devrait se battre pour que tous les enfants de ce pays maîtrise une langue forte, qui porte avec précision et bienveillance leur pensée. Ce n’est donc pas dans le foisonnement de particularismes langagiers, qui stigmatisent plus qu’ils ne distinguent que réside la clé d’une intégration harmonieuse, respectueuse de la diversité. Tous ceux qui sont accueillis dans notre pays ont droit à une langue commune juste et précise car seule une maîtrise plus justement partagée de la langue française pourra permettre à tous les citoyens de ne considérer aucune différence comme infranchissable, aucune divergence comme inexplicable, aucune appartenance comme un ghetto identitaire.   Pour que soit affirmée pacifiquement la richesse de sa diversité, l’identité nationale doit ainsi être portée par un engagement solennel de la République : « nul, quelle que soit sa croyance, quelle que soit sa culture, ne sera privé de la force de la parole, nul ne sera privé de la capacité de comprendre ». Pour relever le défi de la différence, la puissance de la langue française, est en effet centrale. Fondamentalement, l’identité nationale, c’est la conscience d’appartenir à une communauté rassemblant des appartenances diverses, mais dans laquelle chaque citoyen partage une volonté de dialogue grâce à une égale maîtrise, un égal respect, un égal amour de la même langue. Nous avons depuis trop longtemps, accepté avec une complaisance coupable que l’insécurité linguistique dont souffrent certains citoyens soit dissimulée sous le concept dangereux de « diversité linguistique ». Chacun pouvant ainsi parler comme il l’entend, chacun pouvant écrire comme cela lui chante, peu importe la justesse et l’efficacité de son langage. Nous devons, au contraire, à tous ceux que l’on accueille, d’où qu’ils viennent, le meilleur de notre langue. Ce n’est donc pas dans le foisonnement de particularismes langagiers, qui stigmatisent plus qu’ils ne distinguent, que réside la promesse d’une identité nationale honorable et désirée. Tous les citoyens dans ce pays auront droit à une langue commune juste, précise et… créative ; il est de notre devoir de la leur offrir, il sera de leur devoir de la chérir.


  1. Alain BENTOLILA fut directeur du département d’études créoles du CNRS, auteur du dictionnaire du créole haïtien. Il publiera en septembre prochain un livre sur l’école ; Parents, instits, même combat chez Ystia ↩︎

Tags:

Comments are closed